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La bête de l’Apocalypse : la bête de la terre et les médias (3).

Enfin, après ce long développement sur la bête argent, je vous propose d’étudier la deuxième corne, celle des médias dans une analyse tout aussi complète. De nombreux éléments dans le passage sur la bête de la terre permettent de comprendre comment le monde médiatique fonctionne pour manipuler l’opinion.

« Elle opérait aussi de grands prodiges, jusqu’à faire descendre le feu du ciel sur la terre, à la vue des hommes, et elle séduisait les habitants de la terre par les prodiges qu’il lui était donné d’opérer en présence de la bête, persuadant les habitants de la terre de dresser une image à la bête qui porte la blessure de l’épée et qui a repris vie. Et il lui fut donné d’animer l’image de ta bête, de façon à la faire parler et à faire tuer tous ceux qui n’adoreraient pas l’image de la bête. » (Apocalypse, XIII : 13-15).

La corne média concerne le système médiatique (I) et ses techniques de manipulation des masses afin de faire aimer la bête (II).

I. Le système médiatique.

Si la première corne a pour objectif de financer les activités de la bête et d’instaurer une dictature en détruisant les fondements de la démocratie. Elle réalise cet objectif par l’intermédiaire du cinéma (A) puis de la télévision (B). Les deux éléments sont devenus de formidables outils de propagande au service de la bête.

A. Le cinéma.

L’Apocalypse nous explique que la bête de la terre utilise des images qu’elles animent en les faisant parler. Il s’agit d’image et non pas d’être vivant. Le mot est important.

Qu’est-ce qu’une image qui bouge et qui parle ?

C’est le cinéma et la télévision.

La description est étonnante. C’est celle qui régit le principe technique du cinéma au moment de son invention (1). Le cinéma sera utilisé comme arme de guerre psychologique (2) durant les deux premières guerres mondiales (3).

1. L’invention du cinéma.

Le cinéma fut inventé par Thomas Edison (1847-1931) un scientifique américain. Il inventa d’abord le phonographe qui permettait d’enregistrer les sons et les voix (1877).

Edison et son prototype de phonographe à cylindre.

Il inventa également le cinématographe qui enregistrait sur une pellicule des images photographiques animées (1888). Les films peuvent ensuite être visionnés par un kinétographe individuel.

Kinétographe 19 mm à défilement horizontal (couvercle enlevé).

Le principe de l’invention d’Edison, c’est une série d’images fixe que l’on diffuse à un rythme très rapide. D’abord dix-neuf images par seconde, puis vingt-quatre par seconde, afin de les animer. C’est presque mot pour mot ce que dit l’Apocalypse de saint-Jean.

Etant enfant, on a tous fait l’expérience de dessiner une série d’images sur le coin d’un cahier, puis de les faire défiler rapidement avec le doigt. Notre dessin s’animait miraculeusement. Voilà pourquoi Jean de Patmos décrit le cinéma et la télévision comme des images qui bougent.

En 1889, Edison tenta d’associer le phonographe et le cinématographe pour enregistrer le son et l’image en même temps. La tentative fut un échec. Elle n’aboutira qu’en 1927, avec le film « le chanteur de jazz ». C’est l’image qui bouge et qui parle de l’Apocalypse.

« Elle opérait aussi de grands prodiges, jusqu’à faire descendre le feu du ciel sur la terre, à la vue des hommes, et elle séduisait les habitants de la terre par les prodiges qu’il lui était donné d’opérer en présence de la bête, persuadant les habitants de la terre de dresser une image à la bête qui porte la blessure de l’épée et qui a repris vie. Et il lui fut donné d’animer l’image de ta bête, de façon à la faire parler et à faire tuer tous ceux qui n’adoreraient pas l’image de la bête. » (Apocalypse, XIII : 13-15).

En 1895 par les frères Lumière (une étonnante référence maçonnique que personne ne soulève jamais) vont reprendre les inventions d’Edison pour les améliorer et fonder le vrai cinéma moderne. Avec le kinétographe d’Edison, le visionnage des films était individuel. Les frères Lumière vont inventer une machine qui permettra la projection d’un film collectif, sur un écran géant visible par une salle entière.

Un excellent livre datant de 1947 de Jean Epstein, « Le cinéma du diable » s’évertue à montrer que le cinéma est une œuvre diabolique dont il faut se méfier.

« Dans cette mentalité médiévale, dont tout n’est pas oublié, le Diable apparaît comme le grand inventeur, le maître de la découverte, le prince de la science, l’outilleur de la civilisation, l’animateur de ce qu’on appelle progrès. Aussi, puisque l’opinion la plus répandue tient le développement de la culture pour un avantage insigne, le Diable devrait être surtout considéré comme un bienfaiteur de l’humanité. Mais la foi n’a pas encore pardonné le divorce qui l’a séparée de la science et celle-ci reste suspecte au jugement des croyants, souvent maudite, œuvre impie de l’esprit rebelle. » (Jean Epstein, Le cinéma du diable, p. 6)

Jean Epstein soulève également l’importance du mouvement dans le cinéma. Un mouvement qui s’oppose à l’immobilité de Dieu.

« Ainsi, le mouvement – cette apparence que ni le dessin, ni la peinture, ni la photographie, ni aucun autre moyen ne peuvent reproduire ; que, seul, le cinématographe sait rendre – constitue justement la première qualité esthétique des images à l’écran. Conjoncture logique, qui souligne l’importance, dans l’impression du beau, du facteur nouveauté, de la révélation de ce qui n’avait jamais encore été vue. Indication, aussi, du caractère éphémère de ce
canon, comme de la plupart des canons esthétiques, que l’habitude use, qui cessent de valoir dans la mesure où ils ont cessé d’étonner. En vertu de cette loi des lois, la règle du mouvement au cinématographe, après avoir été appliquée jusqu’à l’excès pendant quelques années, se trouve aujourd’hui moins fréquemment employée. Néanmoins, elle découle si directement de la nature même du film, elle s’intègre si constitutionnellement au procédé cinématographique, qu’elle ne pourra jamais être abandonnée complètement, sans que disparaisse en même temps l’originalité foncière des images animées. La représentation du mouvement est la raison d’être du cinématographe, sa faculté maîtresse, l’expression fondamentale de son génie.

Les aspects stables, les formes fixes n’intéressent pas le cinématographe. Elles ne gagnent rien à être représentées à l’écran, à moins de se trouver fortement grossies ou rapetissées, c’est-à-dire d’avoir subi, elles aussi, un rapprochement ou un éloignement dans l’espace. Bien mieux, l’affinité du cinématographe pour le mouvement va jusqu’à découvrir celui-ci là où notre œil ne sait pas le voir. Ainsi, l’accéléré accuse la gesticulation des végétaux, la
course et la métamorphose des nuages ; il révèle la mobilité des cristaux, des glaciers, des dunes. En utilisant des rapports suffisants d’accélération sur de longues périodes de temps, le film montrerait que rien n’est immobile dans
l’univers, que tout s’y meut et s’y transforme.

(…)

Or, les éléments fixes de l’univers (ou qui paraissent tels) sont ceux qui conditionnent le mythe divin, tandis que les éléments instables, qui se meuvent plus rapidement dans leur devenir et qui menacent ainsi le repos, l’équilibre et l’ordre relatifs des précédents, sont ceux que symbolise le mythe démoniaque. Sinon aveugle, du moins neutre devant les caractères permanents des choses, mais extrêmement encline à mettre en valeur tout changement, toute évolution, la fonction cinématographique se montre donc éminemment favorable à l’œuvre novatrice du démon. En même temps qu’il esquissait sa toute première différenciation esthétique parmi les spectacles de la nature, le cinématographe choisissait entre Dieu et le Diable, et prenait parti pour ce dernier. Puisque s’avérait photogénique ce qui bouge, ce qui mue, ce qui vient pour remplacer ce qui va avoir été, la photogénie, en qualité de règle fondamentale, vouait d’office le nouvel art au service des forces de transgression et de révolte. » (Jean Epstein, Le cinéma du diable, p. 16-17)

Jean Epstein oppose la culture traditionnelle parlée et écrite à la nouvelle culture du cinéma.

« Il reste que la culture de beaucoup la plus répandue dans notre civilisation est une culture parlée, écrite, imprimée et, par là, relativement abstraite puisqu’elle se sert de signes très généraux – les lettres et les mots, les chiffres et les nombres – pour désigner indirectement les choses par les idées des choses. C’est cette culture-là qui a profondément rationalisé l’esprit par la nécessité où elle se trouvait d’ordonner les symboles qu’elle utilisait, selon des règles universelles, grammaticales et mathématiques, c’est-à-dire logiques, de manière à constituer un langage qui pût être compris de tous ceux qui se soumettaient à ce code. Plus cette culture est développée, plus sa langue est analytique et abstraite.

(…)

D’autre part, les représentations fournies par le film, parce qu’elles ne sont soumises qu’à un tri logique et critique beaucoup plus sommaire, y perdent peu de leur force émouvante et viennent toucher brutalement la sensibilité du
spectateur. Cette puissance supérieure de contagion mentale, les dispositions légales la reconnaissent implicitement au cinématographe partout où elles maintiennent une censure des films, alors que la presse a été affranchie – en
principe tout au moins – de la tutelle des pouvoirs publics. Le premier aperçu raisonnable de l’image cinématographique est si fugace que la véritable idée, à laquelle cette image peut donner naissance, ne se produit qu’après que le sentiment a déjà été mis en branle et sous l’influence de celui-ci. Même s’il répand des convictions qui pourront être ultérieurement confirmées par le raisonnement, le film reste, par lui-même, une voie peu rationnelle, une voie sur laquelle la propagation du sentiment l’emporte de vitesse sur la formation de l’idée, une voie, somme toute, romantique.

L’invention du cinématographe marquera-t-elle, dans l’histoire de la civilisation, une date aussi importante que celle de la découverte de l’imprimerie ? On voit, en tout cas, que l’influence du film et celle du livre s’exercent en des sens bien différents. De l’âme, la lecture développe les qualités considérées comme hautes, ce qui veut dire plus récemment acquises : le pouvoir d’abstraire, de classer, de déduire. Le spectacle cinématographique met premièrement en œuvre des facultés plus anciennes, donc fondamentales, qu’on qualifie de primitives : celles de s’émouvoir et d’induire. Le livre apparaît comme un agent d’intellectualisation, tandis que le film tend à raviver une mentalité plus instinctive. Cela semble justifier l’opinion de ceux qui accusent le cinématographe d’être une école d’abêtissement. » (Jean Epstein, Le cinéma du diable, p. 19, 22)

Mais attention, le cinéma dans son principe, n’est pas nécessairement l’œuvre de Satan. Chaque rêve avec des images animées et du son. C’est une sorte de film naturel dont le cinéma ne fait que restituer le principe.

« Mais si, au lieu de prétendre à imiter les procédés littéraires, le film s’était exercé à employer les enchaînements du songe et de la rêverie, il aurait pu constituer déjà un système d’expression d’une extrême subtilité, d’une extraordinaire puissance et d’une riche originalité. Ce langage-là ne se serait pas gauchi, dénaturé, à moitié perdu en d’ingrats efforts pour seulement répéter ce que la parole et l’écriture signifiaient facilement, mais il aurait appris à saisir, à suivre, à publier la fine et mobile trame d’une pensée moins superficielle, plus proche de la réalité subjective, plus obscure et plus vraie. Très rares sont les films (comme La Coquille et le Clergyman, Un Chien andalou, Le Sang d’un Poète) ou même des fragments de films (moins voulus, plus sincères) qui marquent les tout premiers pas, timidement faits, vers la révélation à l’écran d’une vie intérieure plus profonde, avec son perpétuel remuement, ses méandres enchevêtrés, sa mystérieuse spontanéité, son symbolisme secret, ses ténèbres peu pénétrables à la conscience et à la volonté, son inquiétant empire d’ombres chargées de sentiment et d’instinct. Ce domaine, toujours nouveau, toujours inconnu, que chacun porte en soi et dont chacun vient, un jour ou l’autre, à s’effrayer, ce fut et c’est encore pour beaucoup le laboratoire où le Diable distille ses poisons. » (Jean Epstein, Le cinéma du diable, p. 19, 22)

Sans électricité, il n’y a pas de cinéma. Un jour Lénine caractérisa le nouveau régime communiste en Russie comme étant « le pouvoir des soviets plus l’électrification« . Une étrange formule dont je ne comprenais pas vraiment le sens. Et puis un jour, j’ai vu un film roumain intitulé « les contes de l’âge d’or« .

Il s’agissait d’une série de court-métrages évoquant l’époque communiste. L’un de ses courts-métrages montrait que l’électrification de la Roumanie par le régime communiste se marqua également par l’introduction du cinéma dans les petites villes ou les villages. L’un profitant de l’autre. Ainsi la salle de cinéma, d’abord diffusé dans un train itinérant qui s’arrêtait dans chaque gare. Puis ensuite, au fur et à mesure de la progression de l’électrification, ils seront diffusés dans une salle spécifique à l’intérieur de la ville.

Or, Thomas Edison, dont toute la vie scientifique tourna autour de l’électricité et de son utilisation, était également un passionné d’occultisme. Lorsqu’on gratte un peu, tapis dans l’ombre de l’homme de science, se cache presque toujours le diable. Jean Epstein avait raison sur ce point précis. Une œuvre visionnaire toujours d’actualité, qui devrait être lue et relue.

Arrêtons-nous longuement sur le cas emblématique de Thomas Edison. Nous verrons plus tard que les propos que je vais tenir ici seront également applicables pour la télévision. Chose étrange qui ne cesse de m’étonner. Thomas Edison était surnommé le « sorcier de Menlo Park » et vous allez comprendre pourquoi…

Thomas Edison rencontre en 1878, Henry Olcott et Helena Blavatsky fondateurs de la Société Théosophique. Il deviendra adhérant de la société en avril 1878 en raison de sa passion pour l’occultisme.

« Je reçus le 5 avril une demande d’admission dans la Société signée de T.-A. Edison. J’avais eu l’occasion de le voir au sujet de l’exhibition de ses découvertes électriques à l’Exposition universelle de Paris en 1878. (…) La conversation entre Edison et moi tomba sur les forces occultes et je fus extrêmement intéressé d’apprendre qu’il avait tenté quelques expériences dans cette direction. Il voulait voir s’il pouvait par la force de la volonté mettre en mouvement un pendule dans son laboratoire particulier. Il avait employé comme conducteurs des fils de divers métaux simples ou composés, une extrémité du conducteur attachée à son front, l’autre au pendule. » (Henry Steel Olcott, Histoire authentique de la Société Théosophique, Paris, Publications théosophiques, 1907-1909, pp. 444-445).

En 1898, un article de la « Revue des revues » rédigé par le Docteur Caze parle d’une rumeur persistante qui attribuerait a Thomas Edison l’invention d’une « machine qui enregistrerait les pensées ». Une rumeur diffusée par son propre fils.

« Photographier la pensée ! Cette chose, insaisissable, invisible, incorporelle, immatérielle, la fixer sur une plaque sensible, lui donner un contour, une apparence, une existence, cela est-il vraiment possible ? » (La Revue des revues, vol. 24, janvier 1898, Dr Caze, La photographie de la pensée : la première invention du fils Edison, p. 438-442).

En 1920, Thomas Edison dans un article qu’il rédige pour l’American Magazine déclare qu’il travaille sur une machine qui permettrait aux morts de communiquer avec les vivants.

Dans un entretien paru dans la revue française Floréal, l’inventeur affirme :

« Je prétends qu’il est possible de construire un appareil d’une telle délicatesse que s’il y a dans une autre existence ou sphère des personnalités qui désirent entrer en contact avec nous, cet appareil leur fournira un meilleur moyen de s’exprimer que les tables tournantes, les médiums et autres méthodes grossières qui passent pour être les seuls moyens de communication.« 

Dans un article de 1934, le journal Western Argus évoque une promesse de Thomas Edison concernant l’invention de la machine à parler avec les morts : le nécrophone.

« Les deux hommes auraient conclu une sorte de « pacte électrique », selon Mina Miller Edison, la seconde épouse de l’inventeur. Edison et William W. Dinwiddie, qui s’étaient efforcés d’enregistrer à l’aide d’un appareil la voix des morts, se seraient promis solennellement que le premier qui viendrait à disparaître tenterait d’envoyer un message au survivant depuis l’au-delà. Cette promesse rappelle étrangement celle des frères Alexander Graham et Melville Bell. Alexander Bell, et surtout son associé Thomas Watson, se sont intéressés de près au spiritisme ainsi qu’aux enseignements qu’ils pouvaient tirer de cette doctrine dans le cadre de leurs expériences autour du téléphone. » (Western Argus, 23 janvier 1934, Life After Death – Vain Wait for Spirit Message – Edison’s Last Promise, p. 2).

Le « nécrophone » de Thomas A. Edison, à l’écoute des fantômes – L’Express (lexpress.fr)

Un article de Philippe Baudouin « Les spectres magnétiques de Thomas Alva Edison. Cinématographie, phonographie et sciences des fantômes » évoque une thèse très intéressante au sujet des multiples inventions de Thomas Edison :

« Plus largement, ce projet d’invention indique à quel point Edison est à la fois un inventeur, un homme de spectacle, un entrepreneur redoutable et un faiseur de miracles, la presse ne cessant de souligner ses dons de sorcier et de magicien, ce qui le rapproche ainsi implicitement des meilleurs médiums spirites en mesure de repousser les limites de l’impossible. Son nom et sa verve inventive sont ainsi régulièrement associés au domaine de la magie, y compris dans le champ du cinéma, comme le montre un article du Motion Picture Story Magazine qui active le champ lexical de la sorcellerie en référence à ses travaux dans le domaine de l’enregistrement des images et des sons. On retrouve cette isotopie de la sorcellerie et de la magie liée au nom d’Edison dans le titre donné à l’un des volumes des Papers of Thomas A. Edison. Or, bien que stériles sur le plan des recherches psychiques, les efforts d’Edison mèneront à l’invention de dispositifs audiovisuels qu’il est possible de considérer comme des actualisations de ses « machines à fantômes » jamais réalisées. Autrement dit, à défaut d’inventer un moyen de communiquer avec les esprits, Edison aura inventé le kinétoscope, le kinétophone, le phonographe et d’autres appareils de reproduction visuelle et sonore. Si les recherches d’Edison dans les domaines de la reproduction sonore et visuelle, et des sciences psychiques témoignent d’un intérêt commun pour la voix, le corps et leurs doubles électriques, le phonographe et le cinématographe révèlent à leur tour les dimensions occultes des dispositifs électriques modernes.

Le phonographe est en effet pensé par Edison essentiellement comme une technique qui permet de conserver « les derniers adieux d’un mourant ou les paroles d’un parent que l’on aime », et de les faire revenir indéfiniment, telles des âmes errantes. En dotant la voix et le corps d’une dimension électrique, Edison participe d’un mouvement plus vaste d’accroissement des manifestations spectrales rendues possibles par les technologies modernes de reproduction du son et de l’image. En cela, les techniques phonographique et cinématographique sont de formidables agents d’extension du « royaume des morts », explique Friedrich Kittler dans son ouvrage Grammophon, Film, Typewriter.« 

Les spectres magnétiques de Thomas Alva Edison. Cinématographie, phonographie et sciences des fantômes (openedition.org)

2.   Le cinéma et les techniques de propagande.

Pour évoquer les techniques de propagande dans le cinéma, trois noms vont ressortir du lot, deux Soviétiques et une Allemande. Ils ont eu une influence considérable sur la manière de filmer. Nous avons Dziga Vertov (a), Sergei Eisenstein (b) et Leni Rifiensthal (c).

a. Dziga Vertov et le cinéma-oeil.

Dziga Vertov (1896-1954), de son vrai nom David Abelevich Kaufman est un cinéaste soviétique de confession juive.

Il est l’inventeur de la technique du cinéma-oeil (« kinoglaz« ). Il publiera sa théorie du cinéma-oeil dans la Revue LEF (Levy Front Iskousstv) en juin 1923.

Le cinéma-œil tente de s’affranchir de la littérature et du théâtre en refusant l’idée d’un scénario qui raconterait une histoire. Le film doit montrer la réalité de la vie. La caméra est comme l’œil humain qui montre au spectateur « la vie en elle-même« . Pour lui, le cinéma comme fiction qui invente des fictions est une sorte d’opium du peuple. Vertov va donc préférer réaliser des documentaires.

Pour réaliser ses films documentaires, Dziga Vertov va s’appuyer sur un travail collectif. Il va envoyer plusieurs équipes de tournages dans plusieurs endroits pour obtenir le maximum d’images et de points de vues. Il va également inciter les cinéastes amateurs à lui envoyer leurs propres films. Son travail de réalisateur est de faire un montage des images filmées par d’autres pour donner un sens à l’événement auquel il s’intéresse dans le documentaire. Ce n’est donc pas totalement du filmé sur le vif.

Aujourd’hui, Vertov est totalement tombé dans l’oubli. D’ailleurs je suis presque sûr que très peu d’entre vous le connaisse, y compris chez mes lecteurs cinéphile. Il a pourtant marqué profondément l’histoire du cinéma. La plupart des documentaires modernes sont filmés selon les principes qu’il a établis. Il est même parvenu à influencer le cinéma de fiction qu’il détestait tellement. On retrouve ses principes dans le film « Barry Lyndon » de Stanley Kubrick ou dans le « Dogma » de Lars von Trier.

b. Sergei Eisenstein et le cinéma-poing.

Sergei Eisenstein (1898-1948) est lui aussi un cinéaste soviétique de confession juive. Il s’agit, sans aucun doute, à égalité avec Leni Riefenstahl, du plus grand génie de l’histoire du cinéma. Certains de ses films figurent aux panthéons de tous les temps, comme « le cuirassier Potempkine« , « Octobre » ou la trilogie avortée sur « Ivan le terrible« . Eisenstein comme Riefenstahl auront d’ailleurs des rapports compliqués avec le régime qu’ils serviront.

Eisenstein s’opposa à la conception du cinéma-œil de Vertov pour la théorie du cinéma-poing. Il exposa sa théorie dans le livre « le sens du film » de 1942. Un livre qui n’a jamais été traduit en français. Pourtant, le texte est fondamental pour comprendre la propagande cinématographique soviétique telle qu’elle a été inventée par Eisenstein.

Eisenstein_Sergei_The_Film_Sense_1957.pdf (monoskop.org)

L’art de la propagande cinématographique, c’est le montage.

« Il y a eu une période dans le cinéma soviétique où le montage était proclamé « tout ». Maintenant, nous sommes à la fin d’une période pendant laquelle le montage a été considéré comme « rien ». Ne considérant le montage ni comme un rien, ni comme un tout, il me semble opportun de rappeler que le montage est une composante tout aussi indispensable de la société que les autres.

Rappeler que le montage est une composante aussi indispensable de la production cinématographique que tout autre élément de l’efficacité du film. Après la tempête « pour le montage » et la bataille « contre le montage », nous devons aborder ses problèmes simplement et à nouveau. C’est d’autant plus nécessaire que dans la période de « renonciation » au montage, son aspect le plus incontestable, celui qui est vraiment à l’abri de toute contestation, a également été répudié.

Le fait est que les créateurs d’un certain nombre de films de ces dernières années ont si complètement oublié le montage, au point d’en oublier l’objectif et la fonction de base : le rôle que se donne toute œuvre d’art, à savoir la nécessité d’exposer de manière cohérente et séquentielle, l’intrigue et l’action, du mouvement à l’intérieur de la séquence du film et dans l’ensemble du drame cinématographique. En dehors de l’excitation d’une histoire, ou même de sa logique ou de sa continuité, le simple manière de raconter une histoire a souvent été perdue dans les
œuvres de certains grands maîtres du cinéma, travaillant dans différents types de films.
 » (Sergei Eisenstein, Sense film, New York, p. 3)

Sa principale technique de montage, crée en 1923, porte le nom de « montage d’attractions », qui propose « d’orienter le spectateur dans la direction souhaitée (état d’esprit)« .

« L’instrument pour y parvenir est donné par toutes les parties constituantes de l’appareil théâtral, ramené, dans toute sa variété, à une seule unité qui légitime sa présence : sa qualité d’attraction. (…) chaque moment agressif du spectacle, tout élément qui soumet le spectateur à une action sensorielle ou psychologique, vérifiée expérimentalement et calculée mathématiquement pour obtenir certaines commotions émotionnelles de l’observateur, commotions qui, à leur tour, le conduisent, toutes réunies, à la conclusion idéologique finale.« 

Le montage d’attraction permet de « fendre les crânes » selon l’expression même d’Eisenstein. C’est un coup-de-poing dans la figure du spectateur.

c. Leni Riefenstahl.

Leni Riefenstahl (1902-2003) est une actrice et réalisatrice allemande. Artistiquement, elle fut un génie, mais elle décida de mettre son immense talent au service d’une mauvaise cause. Hélas.

Le talent de Leni Riefenstahl éclata au grand jour dans deux de ses films, « le triomphe de la volonté » en 1935 et surtout « Olympia » de 1936.

« Le triomphe de la volonté » montre le congrès de 1934 du parti Nazi à Nuremberg.

Le film est très intéressant pour sa technique de communication politique, comme le fut également « Olympia », pour la manière de filmer les représentations sportives. Tous les communicants modernes ont repris les idées de Leni Riefenstahl. Sarkozy 2007 ou Macron en 2017, les mêmes idées de manipulations des foules et d’esthétisation du pouvoir du chef.

La réalisatrice alterne entre un cadrage de prêt de l’orateur, et des images de la foule qui l’écoute, gens qui applaudissent ou enfants heureux d’entendre le discours. Cela amène le spectateur à adhérer aux idées du chef.

On présente également des gros plans de la foule. Elles ont pour objectif de montrer que la population en masse est sous l’autorité du leader. Il faut montrer la masse de manière à laisser croire qu’elle est immense.

On alterne entre l’orateur et l’une ou l’autre de ces images.

J’ai conscience que ce genre de révélation ne fera pas plaisir à la classe politique et aux gens qui les soutiennent. Mais il faut le dire. Il faut montrer la filiation idéologique des hommes politiques occidentaux avec le nazisme. Je manque de place dans cet article pour expliquer le même mécanisme dans un meeting de Nicolas Sarkozy en 2007, ou lors des élections américaines. Rien n’a changé. La méthode Riefenstahl est reprise à la lettre depuis quatre-vingts ans.

Pour « Olympia« , le cadre du décor, concerne les Jeux olympiques de Berlin en 1936. Le documentaire en deux parties est un des plus grands films de l’histoire du cinéma, un chef d’œuvre indépassable qui sert encore de modèle aujourd’hui pour filmer les épreuves sportives. Chef d’œuvre également, car certaines scènes resteront dans la légende, tels les exploits de Jesse Owens devant un Hitler médusé.

Elle inventa la caméra catapulte pour les épreuves de saut, les rails de travelling le long des pistes d’athlétisme pour filmer les courses, la grue et la caméra sous-marine afin de montrer au mieux la natation.

3. Le cinéma et la propagande de guerre.

Le cinéma est un outil de propagande abouti au service de l’Etat. Il est utilisé pour la première fois dans ce sens durant la Première Guerre mondiale (a) puis durant la Seconde Guerre mondiale (b).

a. La Première Guerre mondiale.

Avec l’entrée en guerre des Etats-Unis, le président Wilson, va créer une Commission chargée de convaincre l’opinion publique de l’intérêt de la guerre. C’est la Commission d’Information de Publique (CIP). Elle sera surnommée la Commission Creel. Elle était composée de journalistes, d’intellectuels et de publicistes. Elle exercera ses fonctions de 1917 à 1919.

La CPI va utiliser tous les médias à sa disposition pour convaincre l’opinion publique d’entrée en guerre. Cela concerne la radio, la photographie, l’affiche, les dessins animés et surtout le cinéma.

Concernant le cinéma, l’exemple le plus marquant, est le film « charlot soldat » de Charlie Chaplin, en 1918. On voit le héros capturer l’empereur d’Allemagne pour le livrer aux Américains.

Dans les autres pays belligérants, il y eut l’équivalent de la Commission Creel, mais aucune n’utilisa le cinéma comme arme de propagande avec une telle efficacité.

b. La Seconde Guerre mondiale.

Dans la Deuxième Guerre mondiale, ce sont les régimes politiques des puissances de l’Axe qui utilisèrent le premier, le cinéma comme arme de guerre.

A partir de 1922, le fascisme italien va investir dans le cinéma afin de glorifier le régime de Mussolini. En 1932, c’est la création du festival international de la Mostra de Venise. En 1937, on inaugure les studios de la Cinecitta.

En Allemagne, le cinéma est sous la tutelle du ministre de la propagande de Joseph Goebbels. Il imposa de manière autoritaire les scénarios et les acteurs. Mais le public allemand se désintéressa des films trop marqués idéologiquement. Il adaptera ensuite la production aux envies du public en réalisant des divertissements dans lesquels transparaîtra de manière subtile les idées du nazisme.

Outre ses exemples très limités historiquement et géographiquement, la propagande atteint des sommets au sein de la « démocratie » américaine.

Les studios hollywoodiens écrivent des scénarios qui présenteront les Allemands et les Japonais dans des rôles négatifs. On retrouvera la même méthode durant la guerre froide, où désormais les méchants seront joué par des personnages soviétiques, puis russes (voir par exemple les James Bond ou le film Rocky IV).

Dès l’attaque de Pearl Harbor, le 8 décembre 1941, l’armée américaine débarquera dans les studios de Walt Disney pour réaliser des films de propagande. Ils y resteront jusqu’à la fin du conflit. Un dessin animé comme « bugs Bunny Bond Rally » incitera le public à acheter des obligations de guerre, « Scrap happy Daffy » poussera au don de ferraille, et « the spirit of ’43 » demandera aux contribuables de payer leurs impôts.

C’est également à Disney que nous devons un des monuments du film de propagande, « der Fuehrer’s face » (« Donald chez les nazis », en français). Donald rêve qu’il travaille dans une usine de guerre allemande où il prend son petit-déjeuner avec un seul grain de café dans une tasse d’eau et du pain rassis qu’il doit scier comme du bois. A l’usine, il travaille sans aucune pause. A la fin du dessin animé, il se réveille en sueur, en remerciant le ciel d’être né américain.

c. La guerre froide.

Après-guerre, le plan Marshall aidera à la reconstruction des pays occidentaux. Les Américains en profiteront pour imposer la diffusion de films américains dans les salles de cinéma d’Europe de l’Ouest. Si la commission Creel avait été dissoute en 1919, celle instaurée en 1941, après Pearl Harbor ne sera jamais dissoute et continuera son œuvre néfaste afin de répondre au cinéma soviétique. Les productions hollywoodiennes orientées politiquement influenceront durablement l’opinion publique occidentale.

Pour la France, ce sont les accords Blum-Byrnes signés le 28 mai 1946 (en négociation depuis mai 1945).

En échange d’une aide de 300 millions de dollars remboursable en trente-cinq ans, le gouvernement américain demande la diffusion massive de film américain dans les salles français. Du côté français, nous avions Léon Blum et Jean Monnet et du côté américain le secrétaire d’Etat James Byrnes.

B. La télévision.

La télévision fut inventée quelques années après le cinéma (1). En matière de propagande, elle sera surtout utilisée dans le domaine de l’information (2). Pour le reste, elle se contera de reprendre la production cinématographique.

1. L’invention de la télévision.

La technologie de la télévision est légèrement différente, puisqu’il s’agit d’image successive envoyée par les ondes et restituée sur un poste récepteur par balayage sur un écran. Toutefois, on retrouve l’idée de plusieurs images fixes projetées à grande vitesse pour donner l’illusion du mouvement. C’est donc aussi une technologie au service de la bête.

Les premières télévisions utilisèrent la technologie du tube cathodique, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. L’inventeur du tube fut l’Anglais William Crookes (1832-1919). Inventeur indirect de la télévision. Comme pour Edison, il fut très lié au monde de l’occulte et du spiritisme.

A la fin des années soixante du dix-neuvième siècle, Crookes va s’intéresser au spiritisme et surtout à la manière de communiquer avec les morts. Le choix de ce sujet d’étude est lié à la mort de son jeune frère Philippe, mort en 1867. Il assistera à une séance de spiritisme pour tenter d’entrer en contact avec l’esprit de son frère. Une scène qui le marquera à vie et le poussera rechercher le moyen scientifique de communiquer avec les esprits dans l’au-delà.

En1878, il découvrit le tube cathodique et le principe du rayon X en envoyant de l’électricité dans un tube de verre rempli de gaz à faible pression. En 1880, il observera autour du cathode un espace « obscur » (dit radiomètre de Crookes). Il cherchait par ce moyen à communiquer avec les esprits.

C’est cette technologie qui servira de base à la télévision. On ne peut qu’être surpris de voir si peu de gens en parler.

Pour trouver ce genre d’information, il faut lire l’article Wikipédia anglais sur William Crookes. L’article français ne l’évoque que de manière très succincte et très partiale. Il faut également lire une abondante littérature sur ce sujet, toujours en anglais, tel un article dans New Scientist d’Eric Deeson, « Commonsens and Sir William Crookes » (New Scientist, 26 décembre 1974, 922–925).

New Scientist – Google Livres

Voir également le livre de Janet Oppenheim, « The Other World: Spiritualism and Psychical Research in England, 1850–1914« . Cambridge University Press, 1988.

Crookes sera adhérent à la théosophe, en 1885, il deviendra ensuite membre de la Golden Dawn. C’est dans le cadre de ses recherches liées à l’occultisme qu’il découvrira le tube de Crookes qui donnera ensuite le tube cathodique et le rayon X. Comme pour Thomas Edison et le cinéma, Crookes jouera un rôle indirect dans l’invention de la télé. Une invention obtenue par erreur alors qu’il cherchait à communiquer avec les morts. Etrange similitude entre le cinéma et la télévision. Deux technologies qui font bouger et parler des images. Des technologies dénoncées par l’Apocalypse de Saint-Jean.

2. Les informations.

Les premières émissions de la télévision française sont retransmises depuis la tour Eiffel, en 1937. Elles ont lieu de 20 h 00 à 20 h 30 pour une centaine de postes de télévision sur Paris. En 1943, pendant l’occupation, les émissions se dérouleront depuis les studios de la rue Cognac Jay (pour les plus anciens). La libération de la Paris permettra la prise du contrôle de ces mêmes studios, par la résistance. La première retransmission au niveau national se fit, en 1949 pour une émission d’une heure par jour.

Nous sommes passés des actualités cinématographiques (a) au journal télévisé (b) pour arriver aux chaînes d’informations continues (c).

a. Les actualités cinématographiques.

La bataille pour les salles de cinéma est très importante. Avant l’apparition de la télévision, c’est le seul lieu où le grand public pouvait venir regarder les actualités en images. Elles étaient diffusées avant le film ou parfois de manière autonome dans certaines salles spécialisées.

Les actualités cinématographiques apparaissent en 1909. Elles seront hebdomadaires. Elles porteront le nom de « Pathé journal » ou de « Gaumont Actualité ». Elles connaîtront leurs heures de gloire pendant les deux guerres mondiales. C’est à ce moment-là, que les autorités militaires assureront un contrôle préalable des images. Les sociétés Pathé et Gaumont fusionneront dans les années trente. Le Baron Empain achètera le groupe pour contrôler les actualités. Il faut noter qu’il était également propriétaire de quatre banques.

En 1918, ce sont les premières informations en couleurs, en 1927, elles sont parlantes. En 1932, Gaumont présente les premières actualités avec une voix off qui commente les images. Elles s’arrêteront en 1969, en raison de la concurrence de la télévision.

b. Le journal télévisé.

Le premier journal télé eu lieu le 29 juin 1949 présenté par Pierre Sabagh en voix off, pour à peine trois mille postes. Il est diffusé à 21 h et d’une durée de quinze minutes. Il se contente de reprendre les actualités cinématographiques. En 1953, on retransmet en direct le couronnement de la reine Elizabeth II. L’horaire des journaux est fixé définitivement à 13 h et 20 h en 1957.

logo du journal de la première chaîne (1965).

Lors des événements de mai 1968, le journal de la télévision française ne parlera pas des manifestations et des grèves qui secouèrent le pays. Devant le refus du ministre de diffuser un long reportage sur les événements de mai 68, la rédaction se mettra en grève pendant la durée de la crise. Les Français utiliseront les radios privées émettant depuis l’étranger, pour s’informer heure par heure des événements. Ils iront dans les cinémas pour visualiser les actualités cinématographiques (cela leur donnera un regain temporaire de popularité, avant leur disparition l’année suivante).

logo du journal de 20 h de TF1 (1975).

Jusqu’en 1994, le téléspectateur français pouvait s’informer avec un journal à treize heures et à vingt heures sur trois chaînes : TF1, Antenne 2 (aujourd’hui, France 2) et la Cinq (disparut en 1992). Ces journaux attiraient des millions de personnes. Ils influençaient profondément la manière de penser de la population.

c. Les chaînes d’informations continue.

En 1994, c’est l’arrivée des chaînes d’information continue : LCI en 1994, I-télé en 1999, BFM en 2005 et France info en 2016.

Désormais, l’information est permanente et couverte comme un spectacle scénarisé. Elles ont été créées sur le modèle de CNN, fondé en 1980 aux Etats-Unis.

Leur influence sur l’opinion publique est considérable. Au moment de l’attentat du Bataclan, BFM connaîtra des pointes d’audiences à trente millions de téléspectateurs.

Elles sont selon moi, l’incarnation même de la bête média.

II. La propagande de la bête.

Comment les médias sont-ils utilisés par la bête de la terre pour dominer le monde. Deux modes d’actions sont développés par elle, selon l’Apocalypse : les campagnes de presse contre ceux qui conteste la puissance de la bête (A) et les guerres médiatiques (B).

A : Les campagnes de presse.

« Elle opérait aussi de grands prodiges, jusqu’à faire descendre le feu du ciel sur la terre, à la vue des hommes, et elle séduisait les habitants de la terre par les prodiges qu’il lui était donné d’opérer en présence de la bête, persuadant les habitants de la terre de dresser une image à la bête qui porte la blessure de l’épée et qui a repris vie. Et il lui fut donné d’animer l’image de ta bête, de façon à la faire parler et à faire tuer tous ceux qui n’adoreraient pas l’image de la bête.«  (Apocalypse, XIII : 13-15).

L’Apocalypse nous dit pudiquement qu’elle fait « tuer tous ceux qui n’adoreraient pas l’image de la bête ».

Carrément.

Et oui, une campagne de presse menée par les chaînes de télévision d’information continue, peut tuer socialement une personne. La mort sociale est beaucoup plus redoutable que la mort physique. Elle discrédite un individu auprès du grand public, alors que l’assassinat ou la condamnation à mort créée des mythes et des martyres.

1. La presse jusqu’en 1945.

Au début du XXe siècle, les industriels et les banquiers décidèrent de prendre le contrôle des journaux. Des liens de plus en plus étroits vont s’établir entre le monde de la presse et l’argent. C’est la jonction entre les deux cornes qui va se produit pour la première fois.

a. Le contrôle de la presse par la banque.

Le comité des forges (ancêtre du MEDEF) racheta les journaux, un par un, comme le relate Claude Bellanger dans son Histoire générale de la presse française, Tome III 1871-1940. Le comité des forges va entrer dans le capital des journaux pour mieux contrôler les journalistes.

L’industriel Raymond Patenôtre (1900-1951), va fonder un groupe de presse, l’omnium républicain.

Raymond Patenôtre photographié par Henri Manuel, vers 1932.

L’omnium républicain regroupe de nombreux journaux de province : « le petit Niçois », « le petit Var », « la Sarthe », « le petit Havrais », « la Gazette de Seine-et-Marne », « l’Express de l’Est », « Lyon républicain », dont les titres phares sont « le petit journal« , « l’auto » et « Marianne ». Le groupe fera la promotion de la carrière politique de Pierre Laval pour qu’il obtienne le poste de Président du conseil en 1931, puis en 1935 et enfin en 1942. Le groupe sombrera de manière évidente dans la collaboration avec l’occupant nazi. Ses dirigeants seront fusillés à la libération.

En 1931, le grand public découvre que le journal « Le temps » est contrôlé secrètement par un consortium comprenant le comité des forges, le comité des Houillères, l’Union des Industries Métallurgiques et Minières (UIMM) et la Confédération Générale du Patronat Français (CGPF). On découvrit le pot aux roses lors du décès du « propriétaire » officiel Louis Mil. Une lettre dans son coffre-fort qui révélait le secret. Elle fut publiée par ses concurrents. Pour avoir collaboré avec le régime de Vichy, les biens du journal seront saisis par l’ordonnance du 30 septembre 1944 et attribués au journal de la résistance « Le Monde« .

Le groupe Havas, fondé en 1835 par le banquier Charles-Louis Havas racheta plusieurs journaux dont le plus connu et le plus influent est « Le Journal« . Havas sera perçu par le grand public comme le représentant des deux cents familles. Léon Blum et son gouvernement du Front populaire, en 1936 entreront en lutte contre Havas. On reprochait au groupe d’avoir engagé une campagne de presse via « Le Journal » contre Roger Salengro et de l’avoir poussé au suicide. Un projet de loi tenta de diviser le groupe Havas en deux sociétés, une consacrée à l’information et de l’autre à la publicité. Il échouera à cause de l’opposition du Sénat.

b. Les scandales de presse liée à la banque.

Cette rencontre entre les deux cornes, argent et média, se manifestera de manière exemplaire dans deux scandales retentissants, l’un en 1920 et l’autre en 1928. Mais il y en aurait beaucoup d’autres à évoquer.

En 1920, éclata le scandale des emprunts russes.

Dès 1880, le gouvernement tsariste souhaite obtenir le financement du développement économique de la Russie par les citoyens français. Le tsar met en place une véritable campagne de presse, pour obtenir l’achat de bon d’emprunt auprès du public. L’enquête montrera qu’ils distribueront six millions de francs (environ vingt-trois millions d’euros) à la presse parisienne pour assurer la promotion du placement. Les journaux concernés sont, « la Lanterne« , « le Rappel« , « la France » ou « le Radical« . Cette affaire portera gravement atteinte à l’image des journalistes dans la population.

La deuxième affaire, entre parfaitement dans la description de l’Apocalypse. C’est celle qui mit en cause Marthe Hanau, mariée à un homme d’affaires juif. Nous sommes encore dans les contrecoups de l’affaire Dreyfus. Marthe Hanau fonda un journal financier, « la Gazette du franc« . Son journal acquit une grande réputation. Mais elle fut au centre d’un scandale politico-médiatique retentissant, en 1928. Ce sont les investigations d’une banque rivale, qui révélera que les conseils donnés par « la Gazette du Franc » s’appuyaient sur des activités fictives, de fausses rumeurs obtenues en soudoyant des hommes politiques. Marthe Hanau est arrêtée le 4 décembre 1928 puis incarcérée. En 1934, elle est condamnée à trois ans de prison ferme. Elle se suicidera l’année suivante.

2. La presse de 1944 à 1986.

Tout ce joli monde, industriel, banquier et leurs journaux basculeront allègrement dans la collaboration avec les Allemands et le Maréchal Pétain. Soumission à la puissance d’argent ou soumission à la puissance militaire, la volonté de se mettre à genoux est la même.

La résistance organisera la création et la diffusion de journaux clandestins, pour lutter contre eux. Les plus célèbres seront « Combat » « Franc-tireur » ou « l’Humanité« .

A la libération, le Conseil national de la résistance organisera l’épuration des médias ayant collaboré avec l’ennemi. Plusieurs ordonnances et décrets seront adoptés en 1944. Les locaux et le matériel des journaux de collaborations seront saisis et transférés à la presse de la résistance. Les bâtiments et le personnel du « Temps » passeront au « Monde ». Il en sera de même pour le « Parisien libéré » qui occupera ceux du « Petit parisien », un journal qui tirait deux millions d’exemplaires avant-guerre. En général, l’association du mot « libéré » avec le nom d’un journal fait référence au même processus. Un journal qui a collaboré durant l’occupation et qui fut récupéré par la résistance à la libération. Il est libéré par la résistance. Chose étonnante, le mot « libéré » disparaîtra du nom du journal « le Parisien », le 25 janvier 1986. Une année important dont nous en reparleront. Le diable se niche toujours dans les détails. Puisqu’il n’était plus « libéré« , il recommençait son travail de collaboration avec le pouvoir de l’argent.

Une ordonnance du 26 août 1944 vise à empêcher le retour des industriels et des banquiers dans le monde de la presse, accusé d’être responsable de la défaite de 1940.

Article 3 : « Tous propriétaires, associés, actionnaires, commanditaires, bailleurs de fonds ou autres participants à la vie financière d’une publication, doivent être de nationalité française, sous réserve de l’article 19 ci-après« .

Article 9 : « Dans le cas d’un hebdomadaire dont le nombre d’exemplaires tirés excède 50 000 ou d’un quotidien dont le nombre d’exemplaires tirés excède 10 000 nul ne peut exercer les fonctions de directeur ou de directeur délégué accessoirement à une autre fonction soit commerciale, soit industrielle, qui constitue la source principale de ses revenus et bénéfices. La même personne ne peut être directeur ou directeur délégué de plus d’un quotidien« .

La loi limite la concentration de plusieurs journaux réunis sous l’égide d’un même propriétaire. Il est interdit de posséder plus d’un journal. De même, il est prohibé, pour un industriel ou à un banquier, de contrôler un journal tirant a plus de 10 000 pièces par numéro.

On voulait à tous pris éviter les errements des années trente.

3. La presse à partir de 1986.

Un tournant décisif va intervenir en 1986. La gauche est au pouvoir depuis 1981, avec l’élection de François Mitterrand. Depuis 1983, le Parti socialiste et ses alliés vont s’engager dans une politique économique libéral. C’est le fameux tournant de la rigueur.

Des élections législatives sont organisées le 16 mars 1986 au scrutin proportionnel à un tour. La campagne électorale fut un modèle du genre au niveau des affiches.

A droite, on retrouve des affiches pleines de mouvement et de dynamisme, voire même de l’exaltation. A l’époque, on se demandait même s’il n’avait pas pris de la drogue avant la séance photo. C’est le libéralisme en mouvement, en marche comme dirait Emmanuel Macron, quarante ans plus tard. Rappelez-vous, le mouvement, c’est un principe du diable, alors que la stabilité sur une base solide, c’est le modèle divin.

Musée de Bretagne, Collection Arts graphiques
Musée de Bretagne, Collection Arts graphiques

Et puis nous avons les affiches de la gauche hurlant « Au secours ! la droite revient« . On retrouve la même idée de mouvement, mais cette fois-ci de peur. Nous sommes loin de la force tranquille de 1981 qui avait valu son élection à François Mitterrand. Des exaltés d’un côté, des trouillards de l’autre. Rien de bon s’annonçait pour l’avenir du pays.

L’affiche de gauche ne fonctionna pas, car elle mentait au gens. Depuis 1983, la « gauche » faisait aussi une politique dite de « droite ». Je reprends le vocabulaire de l’époque, sans y croire beaucoup. En effet, le libéralisme est une idée de gauche qui s’oppose aux valeurs de droite, c’est-à-dire le catholicisme et le royalisme. C’est le découpage de l’échiquier politique qui exista durant tout le XIXe siècle. Libéralisme et République à gauche, catholicisme et royalisme à droite. C’est le ralliement de l’église à la république qui fit basculer l’ensemble de l’échiquier politique à gauche. Aujourd’hui, il n’y a plus de « droite ». Les travaux de Jean-Claude Michéa sont très intéressants sur ce point.

Communiste: 35 sièges, Socialiste: 212 sièges, Union pour la démocratie française: 131 sièges, Rassemblement pour la République: 155 sièges, Front national: 35 sièges, Non-Inscrits: 9 sièges.

Si le Parti socialiste obtiendra le plus de siège (212). La coalition de droite RPR-UDR (286) manquera la majorité absolue de 3 sièges (majorité absolue étant de 289). Le 20 mars 1986, le président de la République nomma Jacques Chirac comme Premier ministre.

La loi du 1er août 1986, proposé dès les premiers jours du Gouvernement de Jacques Chirac (nous voyons le sens des priorités) fit abroger l’ordonnance de 1944 sur la presse. Ce fut une des pires erreurs politiques de l’histoire de France. La loi a permis a la finance et à l’industrie de reprendre le contrôle des médias. En 1986, ils vont créer la cinq, la première chaîne de télévision privée gratuite, dont le propriétaire sera Silvio Berlusconi. En 1987, c’est la fondation de M6. Le 16 avril 1987, le gouvernement va privatiser TF1 qui fut vendu au groupe Bouygues.

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, la société française fonça vers une nouvelle catastrophe pire que celle de 1940. Nous n’avons pas retenu les leçons de nos grands-parents résistants.

4. Les médias aujourd’hui.

Trente ans plus tard, d’énormes groupes de presse se sont formés sous la tutelle interventionniste de millionnaires. Comme à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Tous ses journaux, ses télés sont concentrés entre les mains de quelques personnes issues du monde des affaires et de l’argent. Il est simple pour eux ensuite de faire la promotion de leurs amies et de détruire ceux qui s’opposent à eux dans de féroces campagnes de presse.

Les principaux groupes sont Bouygues (a), le groupe Bolloré (b), le groupe Altice (c) et le groupe France Télévision (d). Cela ne concerne que les radios et télévisions avec au moins une chaîne d’information continue. La presse ayant moins d’importances aujourd’hui que jadis pour mener une campagne de presse.

a. Le groupe Bouygues.

Le groupe Bouygues est dirigé par un industriel qui dirige une entreprise de travaux publics, un réseau de téléphonie et d’accès à Internet. Il dispose de plusieurs médias : TF1, TMC, TFX, TF1 Séries Films et surtout LCI.

Chacun de ces groupes dispose d’une chaîne d’information continue. C’est une arme de guerre aux services des intérêts du groupe. Pour Bouygues, c’est LCI.

b. Le groupe Bolloré.

Le groupe Bolloré est présidé par Vincent Bolloré, un entrepreneur dans la logistique et le transport. Il dirige plusieurs médias dont les chaînes Canal +, C8, CStar et surtout CNews.

Le groupe tente de récupérer la radio Europe 1, qui est la propriété du groupe Lagardère (filiale du groupe Vivendi, propriété de Vincent Bolloré).

c. Le groupe Altice.

Le groupe Altice est présidé par le citoyen Israélien Patrick Drahi (ce qui aurait été impossible sous l’empire de la loi de 1944). Ce groupe travaille dans la communication, le câble et la téléphonie (SFR). Il contrôle BFM, RMC Story et RMC découverte. Dans la presse écrite, il détient le quotidien Libération.

Le groupe Altice dispose également d’une radio : RMC.

e. Le groupe France Télévision.

Le Groupe France télévision est celui du service public de l’audiovisuel. Il comprend les chaînes historiques de l’ORTF, sans TF1 qui a été privatisé en 1987. Il est à la disposition du pouvoir politique en place. Aujourd’hui, Macron.

Elle comporte France 2, France 3, France 4, France Ô, ARTE, Euronews et France Info.

La concentration des médias entre quelques groupes constitue ce que l’on appelle un oligopole. Trois ou quatre consortiums détiennent toutes les chaînes dé télévision et s’entendent pour agir de concert envers leurs ennemis communs. Certains conglomérats détiennent, l’ensemble des éléments de la chaîne de production de l’information, depuis la ligne téléphonique, ou du relais internet, jusqu’à la diffusion des images, en passant par la production de contenu. La concentration encourage la censure en faveur de leurs propriétaires, de leurs annonceurs.

L’ouvrage majeur de Jacques Ellul, « Propagandes » évoque la concentration et son importance pour la manipulation des masses :

« Il est enfin une autre condition. Nous venons de rappeler que l’opinion ne peut se former dans les sociétés globales que s’il existe des moyens de communication de masse. C’est une évidence : sans Mass Média, il ne peut y avoir de propagande moderne. Mais il nous faut signaler un double facteur nécessaire pour que les Mass Media soient vraiment un instrument de propagande. Car ils ne le sont pas de façon automatique et dans n’importe quelles circonstances. Il faut d’une part que les Mass Media soient concentrée dans leurs moyens de production et d’autre part diffusée dans leurs produits. Tant que les moyens de production du cinéma, de la presse, des émissions de radio sont très peu concentrés, il n’y a pas de propagande possible. Tant qu’il existe un grand nombre d’agences de nouvelles indépendantes et concurrentes, que de nombreuses entreprises font des journaux filmés, que dans chaque ville, il existe plusieurs journaux locaux bien vivantes et concurrents, il n’y a pas de propagande consciente et directe. Non pas en vertu de l’idée simpliste que le lecteur est placé dans une situation de choix et rendu à la liberté, ce qui est faux, comme nous l’étudieront plus tard, mais parce que aucun de ces moyens n’a assez de puissance pour saisir l’individu constamment, par toutes les voies. Aucun n’a un personnel assez qualifié, aucun ne peut créer un mouvement de masse assez important pour que l’individu soit saisi dedans. Et ces influences locales sont suffisamment fortes pour minoriser les influences des grands journaux par exemple. Pour que la propagande puisse s’organiser, il faut une concentration des moyens, la réduction du nombre des agences de nouvelles, la formation de consortium de presse, l’établissement des trusts de cinéma et de radio. Et bien entendu, ceci sera plus net lorsque des Mass Media de type différent seront concentrés entre les mêmes mains. Que le trust de journaux s’empare en même temps du cinéma ou de la radio, à ce moment, il peut y avoir propagande sur la masse à qui s’adresse une telle organisation et par la multiplicité des moyens employés pour saisir l’individu. Il faut enfin noter que, évidemment, pour qu’il y ait propagande, il faut une certaine unité de direction et de manœuvre dans ces mass media. Tant que chacun dirige son journal à son gré, il ne peut y avoir une organisation technique de l’influence.

C’est seulement avec la concentration dans des mains uniques d’un grand nombre de moyens que l’on arrive à une orchestration, à une continuité, à l’application des méthodes scientifiques d’action sur les individus. Il faut en sommes qu’il y ait soit un monopole d’Etat, soit une situation monopolistique sur le plan privé : l’un vaut l’autre. » (Jacques Ellul, Propagandes, p. 119-120).

B : Les guerres médiatiques.

« Elle opérait aussi de grands prodiges, jusqu’à faire descendre le feu du ciel sur la terre, à la vue des hommes, et elle séduisait les habitants de la terre par les prodiges qu’il lui était donné d’opérer en présence de la bête, persuadant les habitants de la terre de dresser une image à la bête qui porte la blessure de l’épée et qui a repris vie. Et il lui fut donné d’animer l’image de ta bête, de façon à la faire parler et à faire tuer tous ceux qui n’adoreraient pas l’image de la bête. » (Apocalypse, XIII : 13-15).

La deuxième méthode, c’est, comme le dit Jean, « faire descendre le feu du ciel sur la terre, à la vue des hommes ».

L’expression est étrange.

Elle fait référence à la stratégie du choc (1) mis en œuvre dans plusieurs conflits militaire de la fin du XXe et du début du XXIe siècle au profit de la bête (2).

1. La stratégie du choc.

La stratégie du choc s’inspire des travaux d’Anne Morelli sur la propagande de guerre (a) et de Milton Friedman (b).

a. Les dix commandements de la propagande de guerre.

Dans le livre d’Anne Morelli, « principes élémentaires de propagande de Guerre« , elle définit dix commandements de la guerre en s’inspirant des travaux du propagandiste britannique Arthur Ponsonby, en particulier son livre de 1928 « Falsehood in Wartime » (« les faussaires à l’oeuvre en temps de guerre« ).

Les dix commandements s’appliquent à toutes les guerres afin d’inciter la population au consentement du conflit.

  1. Nous ne voulons pas la guerre.
  2. Le camp adverse est seul responsable de la guerre.
  3. L’ennemi a le visage du diable.
  4. C’est une cause noble que nous défendons et non des intérêts particuliers.
  5. L’ennemi provoque sciemment des atrocités ; si nous commettons des bavures, c’est involontairement.
  6. L’ennemi utilise des armes non autorisées.
  7. Nous subissons très peu de pertes, les pertes de l’ennemi sont énormes.
  8. Les artistes et intellectuels soutiennent notre cause.
  9. Notre cause a un caractère sacré.
  10. Ceux qui mettent en doute la propagande sont des traîtres.

b. La stratégie du choc de Milton Friedman.

Ces dix commandements concernent toutes les guerres à toutes les époques. Stephen Kinzer dans « Overthrow » distingue trois étapes dans la stratégie américaine pour faire la guerre :

  1. Les bénéfices d’une multinationale américaine sont menacés par les actions d’un gouvernement étranger.
  2. Les autorités américaines considèrent que les intérêts sont menacés.
  3. Les autorités américaines cherchent à convaincre le public américain de la nécessité d’une intervention en invoquant des motifs politiques ou géostratégiques.

Une fois la guerre engagée, celle-ci est conçue comme un spectacle à vendre aux télévisions du monde entier.

« Cette dernière a également ceci de particulier que ses artisans sont pleinement conscients de monter un spectacle pour la télévision câblée. Ils visent plusieurs auditoires en même temps : l’ennemi, le public américain et quiconque songeraient à faire du grabuge. « Lorsque les images vidéo de ces attaques sont diffusées par CNN, en temps réel et dans le monde entier, l’impact positif sur le soutien dont bénéficie la coalition et l’impact négatif sur d’éventuelles menaces peuvent se révéler décisifs » lit-on dans le manuel où la doctrine est exposé. Dès le départ, l’intervention fut conçue comme un message de Washington à l’intention du reste du monde, formulé dans le langage de la boule de feu, de l’explosion assourdissante et du tremblement qui secoue des villes tout entières. » (Naomi Klein, La stratégie du choc, Babel Essai, p. 512).

Avant le conflit, les partisans de la stratégie du choc vont organiser un exercice durant lequel les médias seront conviés. Cela n’est pas de la bêtise ou de la stupidité, comme certaines personnes mal informé des techniques de psychologie de manipulation des foules pourrait le penser. Cela est un élément important, et même majeur de la technique.

« La méthode (…) est celle qui consiste à « montrer les instruments » ; dans le jargon de l’armée américaine, on parle de « l’escalade de la peur ». Les tortionnaires savent que l’une des plus puissantes armes de leur arsenal est l’imagination du prisonnier – souvent, le simple fait de faire voir des instruments terrifiants est plus efficace que leur utilisation. » (Naomi Klein, La stratégie du choc, Babel Essai, p. 515).

Deux ou trois mois à l’avance, on montre à la victime, ce qu’elle va subir, afin de l’impressionner et de lui faire peur. C’est le sens de l’exercice « Event 201 » dont je vous ai parlé dans l’article précédent. L’exercice annonçait 65 millions de morts à cause d’une maladie touchant les poumons. Aujourd’hui, le chiffre parait très exagéré, mais à l’époque, il avait pour objectif de faire peur, de faire travailler l’imagination des gens. On parle également de « porte-au-nez ». On frappe fort une première fois (dans un exercice) pour impressionner et faire peur, puis ensuite lors de la mise en œuvre, on exécute un plan moins ambitieux qui pourra être mieux accepté par la population, car moins violent que celui que l’on a laissé entrevoir dans l’exercice. Il faut bien comprendre, que si le plan initial avait été exercé directement, sans exercice préalable, ils auraient été rejetés. Je prépare un article spécifique sur le sujet dans ma série sur les techniques de manipulation mentale.

Nous devons dire que, dans cette technique, la guerre contre un pays, une idéologie ou un virus est conçu comme un spectacle.

« Rumsfeld utiliserait toutes les armes à sa disposition, à l’exception du nucléaire, pour mettre en scène un spectacle conçu pour bombarder les sens, jouer sur les émotions et faire passer des messages durables, les cibles étant choisies avec soin en fonction de leur valeur symbolique et de leur impact télévisuel. » (Naomi Klein, La stratégie du choc, Babel Essai, p. 513).

Donald Rumsfeld était le secrétaire d’Etat à la défense sous George Bush fils.

« On présente parfois la doctrine « le choc et l’effroi » comme une simple stratégie visant à affirmer une puissance de feu dominante, mais aux yeux de ses auteurs, c’est bien davantage : il s’agit, affirment-ils, d’un programme psychologique raffiné prenant pour cible « la capacité de résistance de la population ». Les outils utilisés sont bien connus d’une autre branche du complexe militaire américain : la privation sensorielle et la saturation de stimuli, conçues pour provoquer la confusion et la régression. » (Naomi Klein, La stratégie du choc, Babel Essai, p. 513-514).

Il faut une privation sensorielle pour activer la peur. On bombarda les centrales électriques, de télécommunication, les transmetteurs de radio et de télévision.

« Dès le début de la guerre, les habitants de Bagdad furent soumis à une privation sensorielle massive : on éteignit leurs sens l’un après l’autre, à commencer par l’ouïe. (…) Séquestrés chez eux, les habitants de la ville ne se parlaient plus, ne s’entendaient plus, ne voyaient plus à l’extérieur. Tel le prisonnier à destination d’un site noir de la CIA, la ville tout entière était enchaînés et revêtus d’une cagoule. » (Naomi Klein, La stratégie du choc, Babel Essai, p. 516-518).

On utilisa la même technique à Belgrade en 1999, puis à Bagdad en 2003, et même pour la crise du corona-virus à partir de 2020. Le confinement, le masque, et même le pass sanitaire étant conçu comme une privation sensorielle.

Une chose majeure doit être comprise. La stratégie du choc a pour seul et unique objectif de détruire les Etats Nations traditionnels fondés sur la souveraineté et les services publics. A la place, dois être instaurée un Etat corporatiste (de corporate = entreprise en anglais) ou synarchique, aux services des entreprises privées. Nous verrons cela dans le prochain et dernier article.

L’objectif est de détruire un Etat ou un groupe de personnes qui refuse d’adorer la bête, en lui faisant la guerre avec des armes, et médiatiquement en le discréditant auprès de la population.

2. Les guerres de la bête.

La guerre médiatique sous sa forme moderne fut inaugurée en 1991 lors de la première guerre du Golfe (a). Elle fut de nouveau utilisée en 1999 contre la Serbie (b), puis contre l’Irak en 2003 (c).

a. La guerre du Golfe de 1991.

Un matin d’août 1990, le peuple français se réveille au milieu d’un ouragan médiatique jamais vu dans l’histoire. Edition spéciale interminable, envoyés spéciaux dans le golfe, généraux en uniformes, spécialistes du Moyen-Orient. Le dispositif dura six mois. Avec le recul, la chose paraît étonnante. En effet, l’événement concerné est plus que mineur. Non, non, l’URSS ou les États-Unis ne venait pas de faire usage de l’arme nucléaire, aucune révolution en Allemagne ou à Londres, Jean-Paul II ou Ronald Reagan étaient encore en vie.

Étonnant quand on sait que des conflits d’une égale importance n’ont pas eu le même traitement médiatique. Quid de l’invasion de l’île de la Grenade par les Etats-Unis, le 25 octobre 1983, ou de Panama par les mêmes USA, le 20 décembre 1989. Qu’en est-il de la guerre des Malouines entre l’Angleterre et l’Argentine, en 1983.

C’est la mise en œuvre de la stratégie du choc et de sa conception de la guerre comme un spectacle à vendre aux médias. C’est la première fois que ce principe fut mis en œuvre.

On sait aujourd’hui que les Etats-Unis ont poussé Saddam Hussein à envahir le Koweït. Il est un fait établi que le 25 juillet 1990, l’ambassadeur américain laissa entendre au président irakien, que son pays restera neutre en cas de guerre entre l’Irak et le Koweït.

A deux heures du matin, le 2 août 1990, l’armée irakienne va envahir, le Koweït. Presque immédiatement, le président américain de l’époque, George Bush père organisera une conférence de presse pour dénoncer l’invasion, convoquera le conseil de sécurité de l’ONU pour obtenir la condamnation de l’Irak.

Cela sent le traquenard à plein nez. Les Américains cherchaient un prétexte pour prendre le contrôle du pétrole koweïtien et des pays du golfe. C’est le deuxième commandement de la guerre(« Le camp adverse est seul responsable de la guerre« ).

Tout est bon pour manipuler l’opinion publique.

On met en œuvre le sixième commandement, « L’ennemi utilise des armes non autorisées« , en accusant l’Irak de vouloir développer en secret l’arme nucléaire.

On crée le mythe de la quatrième armée du monde ou en accusant Saddam Hussein d’être la réincarnation d’Adolf Hitler (Troisième commandement : « L’ennemi a le visage du diable« ).

On accuse, l’armée irakienne de commettre des exactions aux Koweït, en application du cinquième commandement, « L’ennemi provoque sciemment des atrocités« , via l’affaire des couveuses. Cela donnera lieu à l’image resté célèbre d’une jeune femme qui témoignera, en pleure, devant le congrès américain, des atrocités commises par les Irakiens au Koweït. Elle les accusera d’avoir laissé mourir des nourrissons dans un hôpital. Bien plus tard, alors que les Américains contrôlaient le pétrole du Koweït et de l’Arabie Saoudite, on découvrira que cette jeune fille avait menti. Elle était en réalité, la fille de l’ambassadeur du Koweït aux Etats-Unis. Tous les mensonges sont envisageables pour permettre à la bête d’obtenir gain de cause. Le mensonge est l’arme du diable.

Témoignage de Nayirah al-Ṣabaḥ devant le congrès des Etats-Unis.

Le 29 novembre 1990, le conseil de sécurité de l’ONU autorisera l’utilisation de la force armée contre l’Irak, dès le 15 janvier 1991, date de la fin de l’ultimatum pour évacuer le Koweït. Dix-neuf heures après la fin de l’ultimatum, les avions américains et leurs alliés commenceront le bombardement de l’Irak.

C’est le feu du ciel qui descend sur la terre, dont parle l’Apocalypse. Il y eut, la version en vert pour les attaques aériennes de nuit, la version jeux vidéo avec caméra à l’intérieur du missile qui s’approche de la cible jusqu’à sa destruction.

Bombardement aérien de nuit en Irak (Irak 1991).
Image avant l’impact d’un missile (Irak).

En riposte, l’Irak envoie quelques ridicules scuds contre l’Arabie Saoudite et Israël. Ce sont des missiles courts portés développés par l’Union soviétique dans les années cinquante. Ils en tirèrent une centaine. Un peu faible pour la quatrième armée du monde. C’est à ce moment-là que quelques esprits éclairés sentir l’odeur du soufre de la manipulation des médias. Pour l’anecdote, l’imprécision de l’engin évita des dégâts majeurs, l’ogive tombant au hasard du vent et de la chance. Ils tuèrent une seule personne, un enfant arabo-israélien asphyxié par son masque à gaz.

A partir du 23 février 1991, les troupes aux sols commencent l’offensive pour la libération du Koweït. Cela durera quelques jours, sans véritable résistance.

Bataille du Koweït.

b. Le bombardement de la Serbie en 1999.

Le même scénario fut utilisé en 1999 contre la Serbie.

La guerre du Kosovo commença en 1996 avec la création de l’armée de libération du Kosovo. Elle organisa des assassinats de dirigeants politiques, de policiers ou de douaniers serbes. Son objectif était l’indépendance du Kosovo. En 1997, l’effondrement du gouvernement albanais entraîna le pillage des arsenaux militaires du pays. C’est là que débuta une guerre d’indépendance. L’armée serbe riposta et entraîna un exode important des populations albanaises vers la Macédoine et l’Albanie.

C’est à ce moment précis, que la machine médiatique va se mettre en marche par des reportages délirants sur l’exode. Le pays comptait à l’époque, deux millions d’habitants. Parmi cette population, on trouvait deux cent mille Serbes et trois cent mille personnes d’autres ethnies.

Lors de l’exode, on nous expliquait qu’un million voir plus, de personnes vivaient dans des camps de fortune. Des chiffres volontairement exagérés, sans aucune proportion avec la population réelle du pays. Nous étions beaucoup, à l’époque, à nous offusquer face à de tels mensonges, sans être beaucoup entendus. Internet en était encore à ses balbutiements.

On cherchait avant tout à culpabiliser l’opinion publique occidentale à grand renfort de reportage larmoyant, de dramatisation excessive. C’est le cinquième commandement de la guerre (« L’ennemi provoque sciemment des atrocités« ). Milosevic, le président serbe, était (encore un) comparé à Adolf Hitler en application du deuxième commandement (« L’ennemi a le visage du diable« ). Pourquoi un tel déchaînement médiatique, alors que des situations similaires ou plus dramatiques n’avaient pas eu les faveurs de la presse.

On invoqua un plan d’épuration ethnique organisé par les Serbes. Une conférence de presse sera organisée par le ministre allemand de la Défense, Rudolph Scharping, le 9 avril 1999, où il expliqua que Milosevic voulait faire expulser la totalité de la population albanaise du Kosovo. C’est le plan Fer à cheval.

On cherchait à justifier une intervention militaire contre la Serbie, on voulait renverser le président Milosevic afin de faire basculer la Serbie dans le camp occidental. La Serbie comme l’Ukraine sont des alliés essentiels de la Russie. A travers la Serbie, on souhaitait attaquer l’ennemi russe. Le pousser à la confrontation militaire.

Comme toujours, on apprendra deux ans plus tard que les arguments utilisés pour justifier l’intervention militaire étaient des mensonges, relayés sans vérification et de manière complaisante par les médias.

Le conseil de sécurité refuse l’intervention militaire en Serbie, en raison de la menace de veto des Russes. Les Américains passeront par l’OTAN qui autorise l’usage de la force, le 30 janvier 1999. Les premiers bombardements sur la Serbie débutèrent le 24 mars 1999 et durèrent soixante-dix-huit jours. A la fin, la Serbie cédera le Kosovo qui sera administré par l’ONU avant de proclamer son indépendance, en 2008.

Bombardement d’une usine en Serbie, à Zastava.

c. La guerre d’Irak de 2003.

C’est le conflit le plus intéressant au niveau de la mise en œuvre de la stratégie du choc. Elle est un mélange entre la guerre du Golfe et le bombardement de la Serbie de 1999.

Une nouvelle fois, la machine médiatique va se mettre au service de la bête pour une guerre d’Irak, en 2003. Elle sera menée, cette fois-ci par George Bush fils. Le père n’avait pas souhaité renverser Saddam Hussein, le fils doit finir le travail commencé par le père, douze ans plus tôt.

Autour de la présidence Bush se trouve un certain nombre de néo-conservateurs ultra-libéraux, favorable à la stratégie du choc de Milton Friedman.

« Comme il était impossible de conquérir tous les pays arabes d’un coup, il fallait utiliser l’un d’eux comme catalyseur. Les Etats-Unis envahiraient ce pays et, pour reprendre les mots de Thomas Friedman, prosélyte en chef de la théorie dans les médias, introduiraient « un modèle différent au cœur du monde arabo-musulman » lequel déclencherait des vagues démocratiques et néolibérales dans toute la région. » (Naomi Klein, La stratégie du choc, Babel Essai, p. 507).

Plusieurs noms de pays furent candidats pour devenir le pays vitrine du néolibéralisme dans le monde arabe. L’Irak avait le meilleur profil en raison de sa taille, de sa situation au centre du Moyen-Orient et surtout de son pétrole.

Pour cela, on inventa un prétexte afin d’emmener l’opinion mondiale contre le président irakien. On accusa l’Irak de détenir des armes de destruction massive, c’est-à-dire chimique, biologique voir nucléaire comme le propose le sixième commandement de la guerre (« L’ennemi utilise des armes non autorisées« ). Un rapport anglais affirma que Saddam Hussein se fournissait en uranium au Nigeria. George Bush utilisera ce rapport devant le conseil de sécurité des Nation unis.

Le 5 février 2003, le secrétaire d’Etat américain de la défense Colin Powell produira devant le Conseil de sécurité, des photos satellites des usines d’armes chimiques, l’enregistrement d’un officier de l’armée irakienne qui parle d’agent neurotoxique, et surtout, il brandira un flacon de verre avec de la poudre blanche qu’il présenta comme étant de l’anthrax.

Colin Powell devant le conseil de sécurité de l’ONU.

On apprendra par la suite que le rapport britannique et les preuves de Colin Powell étaient des fausses preuves, exploitées pour justifier l’intervention militaire en Irak.

Echaudé par les deux précédentes manipulations médiatiques, la guerre en Irak souleva un énorme mouvement de protestation mondial. Le 15 février 2003, plusieurs millions de personnes manifesteront (3 millions à Rome, 1, 3 millions à Barcelone, 2 millions à Londres, 600 000 à Madrid). Je me rappelle avoir moi-même participé a l’une de ses manifestations dans ma ville.

Aucun vote n’aura lieu devant le conseil de sécurité en raison du veto français, russe et chinois. Les Etats-Unis et leurs alliés attaqueront quand même l’Irak le 19 mars 2003. La mainmise du pétrole irakien est trop importante pour la bête argent, elle ne s’arrête pas à ce genre de broutilles. Chose étonnante, l’opération fut initialement appelée « opération iraqi liberation » (opération de libération de l’Irak) dont les initiales faisaient « OIL » (pétrole en anglais). Un acte manqué de type freudien. Au moins, l’objectif état clair.

Cela commence par une vague de bombardement aérien. C’est l’occasion de revoir les images vertes avec les traces blanches de missile, comme douze ans plus tôt. Le feu du ciel dont parle Saint-Jean dans son Apocalypse frappe une deuxième fois.

Parallèlement aux bombardements, depuis le Koweït, des troupes au sol foncent sur Bagdad et sur Bassorah, une cité stratégique pour le contrôle du pétrole. La bataille de Bassorah durera, jusqu’au 6 avril, alors que le 3 avril commencera la bataille de Bagdad.

La capitale tomba le 9 avril. La journée sera marquée par la chute de la statue de Saddam Hussein sur la place Firdos. C’est un char américain qui tirera la statue avec un câble en acier soigneusement installé autour d’elle. On est loin des foules révolutionnaires que nos médias nous annonçaient à grand renfort de direct et d’intervention de « spécialiste ». On assistera à de nombreux pillages des trésors historiques dans les musées de la ville.

Saddam Hussein sera arrêté le 13 décembre 2003, alors qu’il était caché dans sa ville natale Tikrit. Il sera jugé, puis condamné à mort par un tribunal et exécuté le 30 décembre 2006.

La chute des statues, le pillage des musées et l’humiliation médiatique du président irakien fait également parti de la stratégie du choc. Il faut dépouiller le pays de ses institutions et de son histoire, pour ensuite le reconstruire selon le modèle libéral.

« Dans le cadre d’interrogatoires hostiles, la première étape consiste justement à dépouiller les prisonniers de leurs vêtements et de tout article susceptible de leur rappeler qui ils sont – les objets de réconfort. Souvent des objets revêtant une importance particulière pour le détenu – le Coran, par exemple, ou encore une photographie bien-aimée – sont traités avec mépris. Le message est clair : « Tu n’es personne, tu n’es plus que ce que nous voulons que tu sois. » Bref, l’essence même de la déshumanisation. Les Irakiens subirent cette déstructuration en tant que peuple en voyant leurs institutions les plus importantes profanées, leur histoire chargée dans des camions et emportées au loin. Les bombardements firent mal à l’Irak, mais ce sont les pillages, effectués sous l’œil indifférent de l’occupant, qui effacèrent le cœur du pays de jadis.

« Les centaines de vandales qui ont fracassé des poteries anciennes, vidé des vitrines et emporté les objets en or et d’autres antiquités du musée national de l’Irak ont tout bonnement procédé au pillage des témoignages de la première société humaine, écrivit-on dans le Los-Angeles Times (…) Ont ainsi disparu 80 % des 170 000 objets d’une valeur inestimable que renfermait le musée. » La bibliothèque nationale, où étaient conservés tous les livres et toutes les thèses de doctorat jamais publiés en Irak, fut réduite en cendres. Des exemplaires du Coran aux enluminures vieilles de mille ans disparurent de l’immeuble des Affaires religieuses, qui n’était plus qu’une coquille calcinée. » (Naomi Klein, La stratégie du choc, Babel Essai, p. 518-519).

Une fois le régime de Saddam Hussein renversé, les autorités militaires américaines vont installer un gouverneur à Bagdad. C’est Paul Bremer.

Un mois après son entrée en fonctions, il privatisera les deux cents sociétés publiques irakiennes qui organisaient l’ensemble de la vie économique du pays, de la production à la distribution en passant par l’approvisionnement. Elles furent accusé d’être inefficace, alors qu’elle avait permis depuis des décennies, la prospérité de l’Irak. Paul Bremer, présenta le transfert au privé de ces fleurons de l’Irak, comme une nécessité vitale pour le redressement économique. En réalité ce qui avait détruit l’Irak, ce furent le blocus économique de 1991 à 2003, puis le bombardement américain. Un discours que l’on entend depuis 1986 en France : le privé est plus efficace que le public pour la gestion d’un pays. Lorsqu’on voit le résultat, tant en France qu’en Irak, nous pouvons en douter.

Deuxième étape : l’adoption de nouvelle loi économique. L’impôt sur les sociétés de 45 % passa au taux uniforme de 15 %. On autorisa les entreprises étrangères à détenir 100% des entreprises irakiennes. Les investisseurs pouvaient sortir de l’Irak la totalité des profits. Ils n’étaient pas tenus de réinvestir un sou sur place et ne seraient pas imposés pour les profits transférés à l’étranger. Un décret autorisa la signature de baux et de contrats valides pour 40 ans renouvelables. Après le pillage historique, ce fut le pillage économique des richesses.

On ne privatisa pas le pétrole, mais on en vola les bénéfices.

Dès le premier jour de l’occupation, on créa une nouvelle monnaie. Une société britannique (De La Rue) se chargea d’imprimer les billets. Ils furent livrés par avions et distribués par des camions et des véhicules blindés.

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