Le conformisme dans la société (3).
II. Le conformisme en acte.
Le conformisme en acte est plus engageant que le conformisme en mot. Dans le conformisme en mot, on demandait au sujet de donner une réponse verbale, alors qu’avec le conformisme en acte, on demande la réaction d’une action concrète.
Deux auteurs vont théoriser cette notion, Stanley Milgram et Philip Zimbardo.
A. Stanley Milgram (1964).
Stanley Milgram (1933-1984) est un psychologue américain d’origine juive-roumano-hongroise, né dans le quartier du Bronx à New-York. Il fut très marqué par le sort des Juifs européen lors de la Deuxième Guerre mondiale comme il le dit lors de son discours de Bar Mitzvah, « Homme, je doit trouver le bonheur de rejoindre les rangs d’Israël, la connaissance de la souffrance tragique de mes compatriotes juifs. C’est l’occasion de réfléchir à l’héritage de mon peuple, qui devient maintenant le mien. Je vais essayer de comprendre mon peuple et faire de mon mieux pour partager les responsabilités que l’histoire nous a imposées à tous« . C’est son identification aux Juifs et sa souffrance durant la guerre qui l’amena a étudier le phénomène de l’obéissance à l’autorité et de la pression du groupe social sur l’individu.
Il fut diplômé de psychologie à l’université de Harvard ayant eu comme professeur Salomon Asch. Je vous vois venir sur le jeu de mot, Milgram et Asch… Pas de promotion de la consommation de drogue. Je ne le dirais donc pas.
Quoi qu’il en soit, après l’obtention de son diplôme il ira enseigner à Yale, puis à Harvard et enfin à New York.
Je proposerais une série d’articles sur les autres expériences de Milgram, sur la soumission à l’autorité, celle dites du petit monde, qui constitue avec celle dont je vais parler maintenant, le fondement majeur de la manipulation mentale et politique.
Parlons maintenant du conformisme en acte. Milgram veut amener des sujets à réaliser des comportements qui sont contraires aux règles éthiques, à leur croyance personnelle et à leurs principes moraux, sous la pression d’une majorité. A cet effet, il convoque des sujets par groupes de quatre pour une étude sur la mémorisation et sur l’efficacité de la punition sur l’apprentissage.
Parmi les quatre individus, il y a trois compères (complice de l’expérimentateur) et un sujet naïf (qui n’est pas au courant de l’objet de l’expérience).
Le groupe de quatre se décompose d’un élève et de trois expérimentateurs.
– L’élève qui doit répondre a des questions (c’est un des trois compères).
– Un premier examinateur qui doit lire une liste de paires de mots. Il donne le premier mot de la pair et le sujet doit deviner le deuxième.
– Un deuxième examinateur qui doit évaluer la réponse (bonne ou mauvaise) de l’élève. Si l’élève ne répond pas, c’est considéré comme une mauvaise réponse.
– Un troisième examinateur qui doit sanctionner l’élève. Le niveau de la punition doit être décidé par les trois examinateurs collectivement.
Le rôle de chacun doit être réparti au hasard par tirage au sort. Mais le tirage est truqué de manière à ce que le sujet naïf tombe toujours sur le troisième examinateur (celui qui inflige la sanction).
Les examinateurs ne voient pas l’élève.
On place le troisième examinateur devant un pupitre avec des manettes correspondant a un certain voltage et l’indication de la puissance du choc, allant de 15 à 450 volts, et de « choc léger », « choc moyen », « choc fort », …. Les deux dernières graduations indiquant « danger, choc violet » et « XXX ».
A chaque mauvaise réponse, on augmente de 15 volts en 15 volts. L’élève joue la comédie. Il doit produire 30 mauvaises et 10 bonnes réponses. Il pousse des hurlements de douleur à chaque décharge électrique. Lors des trois dernières, il ne dit plus rien pour simuler un malaise.
Les résultats montrent que lorsque le sujet est en groupe et qu’il peut décider de l’intensité des chocs à administrer à l’élève, son comportement se situe à un niveau supérieur par rapport a celui où il doit choisir seul le niveau de choc. En condition contrôle (seul), 85 % des sujets ne dépassent pas 120 volts (« choc modéré »), alors qu’en groupe, c’est l’inverse, puisque 85 % iront au-delà de 120 volts, 25 % infligeront même les deux derniers niveau potentiellement mortelle. Les résultats sont effrayants d’horreurs. La pression groupale peut pousser un individu a donner la mort. On comprend l’immense convulsion que provoqua dans le monde l’expérience de Milgram. C’est sympa quand même la psychologie. La, nous ne rigolons plus.
Il y a donc la mise en évidence d’un effet de pression du groupe sur le comportement. Les sujets sont amenés à infliger une souffrance plus intense à une personne que celle qu’ils infligeraient en l’absence de cette pression sociale.
B. Philip Zimbardo (1971).
Philip Zimbardo (1933-?) est un psychologue américain d’origine italienne. Il est diplômé de Yale et exerça à l’université de Stanford. Il réalisa dans les sous-sols de Stanford une expérience dite des « prisonniers et des gardiens » qui a permis de montrer la mise en oeuvre de l’effet Lucifer. Plus encore que l’expérience de Stanley Milgram, elle souleva une immense polémique en son temps. Vous allez comprendre pourquoi. Polémique plus intense, car elle marqua un certain malaise du monde de psychologie en raison de la profondeur et de l’intensité psychologique qu’elle permis de mettre en évidence. Donner la mort en infligeant des décharges électriques une quinzaine de fois a une personne que l’on ne connaît pas. Facile. On le fait une fois et ensuite, ont oubli en passant a autre chose. Là, il s’agit d’une expérience qui devait durer quinze jours en continue, jour et nuit, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Pour les plus anciens de mes lecteurs, c’est le « loft » en pleine période disco, mais un « loft » de l’horreur, le Truman show version hard-core.
Philip Zimbardo va réunir vingt-quatre personnes dans le sous-sol de l’université de Stanford pour une expérience hors du commun. Il va construire une prison. La prison la plus réaliste qui soit. Pour preuve, il faut regarder les photos qui ont été prises à l’époque. Les sujets ont été recrutés par petite annonce avec promesse de rémunération de 15 dollars par jour pour une durée de deux semaines.
Parmi les vingt-quatre, Zimbardo va créer deux groupes de douze personnes par tirage au sort. Le groupe des gardiens de prison et celui des prisonniers. Les gardiens sont équipés d’un uniforme de gardien de prison et d’un bâton en bois. Ils peuvent rentrer chez eux le soir après leur journée de travail. Les prisonniers sont habillés en tenue de prisonnier et reste 24 heures sur 24 à la prison dans une cellule.
Zimbardo cherche à mettre en évidence les attitudes des prisonniers et des gardiens dans une situation réelle. Les résultats iront au-delà des espérances de l’auteur. Les prisonniers vont se révolter au bout de quelques jours et les gardiens se lancer dans une terrible répression. Privation de nourriture pour ceux qui demande à manger, ceux qui lance dans une grève de la faim vont être forcé à se nourrir. Certains prisonniers vont être soumis à la torture. Privation de sommeil, condamnation à faire des tâches infamantes, comme de nettoyer les chiottes à mains nues. Les gardiens irons si loin dans leurs sévices que l’expérience sera interrompu en catastrophe après six jours.
Quelques décennies plus tard Zimbardo (encore en vie) reviendra sur le devant de la scène médiatique au moment de la guerre d’Irak. C’est l’époque où éclata le scandale de la prison d’Abu Ghraib, réplique réelle, cette fois-ci, de l’expérience de Stanford. Le psychologue participa aux interrogatoires des tortionnaires pour apporter son éclairage personnel sur ce qui s’était passé à Abu Ghraib.
Une fois l’expérience terminée, Philip Zimbardo va procéder à une série d’entretien classique avec les prisonniers et les gardiens.
Ecoutons d’abord ce qu’on dit les prisonniers. Les réponses sont quasi unanimes. Ils distinguent trois catégories de gardiens : les bons gardiens, les gardiens moyens et les mauvais gardiens.
Les bons gardiens sont ceux qui auront adopté, durant l’expérience, une attitude bienveillante et compassionnelle. Dès que possible, ils viendront en aide aux prisonniers en difficultés.
Les gardiens moyens ne viennent pas en aide aux détenus, mais ne commettent pas pour autant des exactions. Ils ont une attitude neutre.
Les mauvais gardiens sont ceux qui laissent s’exprimer leurs plus bas instincts sur l’autre. Ce sont eux qui vont humilier et infliger la torture.
Les mauvais gardiens sont très peu nombreux, mais entraînent dans leur délire les autres. Ils montrent aux autres comment résoudre une situation en cas de conflit avec les prisonniers. Nous sommes ici dans le conformisme en acte et l’influence du groupe sur l’individu, mais également dans une autre notion que nous verrons au prochain article, l’influence minorité. Car oui, si la pression du nombre amène les individus vers l’alignement sur les autres par le conformisme, mais il existe un autre phénomène, tous aussi important qui est l’influence des minorités sur le groupe. Phénomène tous aussi fascinant que le conformisme.
Terminons cet article en établissant un parallèle avec l’actualité politique et sociale récente. Les expériences de Milgram et Zimbardo constitue une explication décente concernant le comportement de la police républicaine à l’encontre des gilets jaunes, que ce sont les tirs de flash-ball sur le visage, les jets de grenades à la TNT sur les mains des manifestants, les tirs de grenade lacrymogène au cyanure ou le massacre du burger king. Poussé à la violence par une petite minorité, d’autres policiers « moyens » ou « bons » (pour reprendre la terminologie de Zimbardo) ont suivi dans l’horreur, confortée par le silence mi-complices, mi-coupable de l’ensemble de la police. Il suffit pour cela d’écouter les propos tenus par leurs représentants syndicaux sur les plateaux télés.