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Les techniques de manipulation mentale : le mythe politique (9b).

III. Les mythes politiques dans la propagande moderne.

Comme pour l’article sur le conditionnement, nous allons traiter des trois régimes totalitaires du XXe siècle afin d’observer l’utilisation du mythe politique dans la propagande. Cela vient compléter ce qui a été dit sur le conditionnement. En effet, le conditionnement est souvent utilisé pour conditionner aux mythes politiques.

Nous verrons la propagande soviétique (A), la propagande italienne (B) et la propagande allemande (C).

A. La propagande soviétique (1917-1991).

Au sein de la propagande soviétique, nous devons distinguer la période léniniste et la période stalinienne. Lénine a utilisé de nombreux mythes politiques pour prendre le pouvoir. Nous n’en parlerons pas ici, afin de nous concentrer uniquement sur l’un des mythes les plus importants, celui du sauveur. C’est surtout durant la période stalinienne que le mythe politique du sauveur sera utilisé comme arme de propagande. C’est la mise en œuvre du culte de la personnalité.

Le culte de la personnalité stalinien fut dénoncé par Nikita Khrouchtchev lors du XXe congrès du Parti communiste.

Durant la vie de Lénine, le Comité Central du Parti fut la réelle expression de la direction collective du Parti et de la nation. Etant un militant marxiste-révolutionnaire, toujours inflexible sur les questions de principe, Lénine n’imposa jamais par la force ses opinions à ses collaborateurs. Il essayait de les convaincre.

Staline n’agissait pas par persuasion, par explication et patiente collaboration avec autrui, mais en imposant ses idées et en exigeant une soumission absolue. Quiconque s’opposait à ses conceptions ou essayait d’expliquer son point de vue et l’exactitude de sa position était destiné à être retranché de la collectivité dirigeante et, par la suite, « liquidé » moralement et physiquement.

Il vaut la peine de signaler le fait que pendant que se déroulait la furieuse lutte idéologique contre les trotskistes, les zinovievistes, les boukhariniens et les autres, on n’avait jamais pris contre eux des mesures extrêmes de répression. La lutte se situait sur le terrain idéologique. Mais quelques années plus tard, alors que le socialisme était fondamentalement édifié dans notre pays, alors que les classes exploitantes étaient généralement liquidées, alors que la structure sociale soviétique avait radicalement changé, alors que la base sociale pour les mouvements et les groupes politiques hostiles au Parti s’était extrêmement rétrécie, alors que les adversaires idéologiques du Parti étaient depuis longtemps vaincus politiquement, la répression contre eux fut déclenchée.

Staline fut à l’origine de la conception de « l’ennemi du peuple ». Ce terme rendit automatiquement inutile d’apporter la preuve des erreurs idéologiques de l’homme ou des hommes engagés dans une controverse : il rendit possible l’utilisation de la répression la plus cruelle, violant toutes les normes de la légalité révolutionnaire, contre quiconque, de quelque manière que ce soit, était en désaccord avec Staline. Pour l’essentiel et en fait, la seule preuve de culpabilité dont il était fait usage, contre toutes les normes de la science juridique actuelle, était la « confession » de l’accusé lui-même, et, comme l’ont prouvé les enquêtes faites ultérieurement, les « confessions » étaient obtenues au moyen de pressions physiques sur l’accusé. Des arrestations et des déportations de plusieurs milliers de personnes, des exécutions sans procès et sans instruction normale, créèrent des conditions d’insécurité, de peur et même de désespoir.

(…)

Le danger menaçant suspendu sur notre patrie dans la première période de la guerre était dû en grande partie aux méthodes fautives de Staline lui-même, quant à la direction de la Nation et du Parti. Ceci pour le début de la guerre et l’extrême désorganisation de notre armée qui causa de si lourdes pertes. Mais longtemps après, la nervosité et l’hystérie dont Staline faisait preuve, s’opposant à l’efficacité des opérations militaires, pesèrent d’un poids considérable dans la balance (…). Ce n’est pas Staline, mais bien le Parti tout entier, le gouvernement soviétique, notre héroïque armée, ses chefs talentueux et ses braves soldats, la nation soviétique toute entière, qui ont remporté la victoire dans la grande guerre patriotique.

(Longue tempête d’applaudissements).

Camarades, venons-en à d’autres faits. L’Union soviétique est à juste titre considérée comme un modèle d’Etat multinational parce que nous avons, dans la pratique, assuré l’égalité des droits et l’amitié de toutes les nations qui vivent dans notre vaste Patrie. D’autant plus monstrueux sont les actes dont l’inspirateur fut Staline. Nous voulons parler des déportations en masse de nations entières (les Kalmouks, les Tchétchènes, les Ingouches, les Balkars), arrachées à la terre natale avec tous les communistes et komsomols sans exception. Les Ukrainiens n’évitèrent le même sort qu’à cause de leur trop grand nombre ; il n’y aurait jamais eu assez de place pour les déporter tous. Autrement, on n’aurait pas manqué de le faire.

(Hilarité et mouvements divers).

L’obstination de Staline se manifesta non seulement dans le domaine des décisions qui concernaient la vie intérieure du pays, mais également dans celui des relations internationales de l’Union soviétique. « L’affaire yougoslave » ne comportait aucun problème qui n’eût pu être résolu par des discussions entre camarades du Parti. Il n’existait pas de base sérieuse pour le développement de cette « affaire ». Il était parfaitement possible d’éviter la rupture de nos relations avec ce pays.

(…)

Et quand Staline affirme qu’il a lui-même écrit le Précis de l’histoire du PC (bolchevik) de l’Union Soviétique, on doit pour le moins s’en étonner. Convient-il à un marxiste-léniniste de se mettre ainsi en vedette et de se hausser jusqu’au ciel ? Mais, parlons un peu des prix Staline. Les tsars eux-mêmes n’ont jamais fondé de prix portant leurs noms. Staline a reconnu comme le meilleur texte d’hymne national de l’Union soviétique un poème qui ne contient pas un mot sur le Parti communiste ; mais il contient l’éloge sans précédent de Staline. Est-ce à l’insu de Staline que beaucoup des plus grandes villes et des plus grandes entreprises ont pris son nom ? Est-ce à son insu que des monuments à Staline ont été élevés dans tous le pays ? ” (Extraits du rapport au XXème Congrès du Parti communiste de l’URSS, 24 février 1956. Cité par F.FETJÖ, Chine-URSS, le fin d’une hégémonie, Paris, Plon, 1964, pp. 244-272.)

Khrouchtchev dissèque le culte de la personnalité instauré par Staline. Un culte qui constitua la base de la propagande soviétique jusqu’à la disparition de l’URSS en 1991. Le culte de la personnalité fut instauré au début du stalinisme, entre 1926 et 1929 (1), un culte qui comporte un certains nombres d’éléments constitutifs (2).

1. L’instauration du culte de la personnalité (1926-1929).

L’instauration du culte de la personnalité par Staline va se faire à l’occasion d’une grande fête organisée pour ses cinquante ans (a), elle sera l’aboutissement d’un processus d’élimination de ses adversaires politiques au sein des institutions communistes (b).

a : Le cinquantième anniversaire de la naissance de Staline (1929).

L’acte de naissance du culte de la personnalité comme acte politique de propagande est intervenu le 21 décembre 1929 au moment des cérémonies du cinquantième anniversaire de la naissance de Staline. Staline est né le 18 décembre 1878, il a donc un peu plus de cinquante ans en 1929, lorsqu’il lance la grande fête qui doit marquer un tournant dans le régime.

Cela va être l’occasion de somptueuse célébration en son honneur. Il faut éblouir le public et la population. Il faut marquer les esprits.

Staline n’a pas inventé ce genre de pratique politique. Il ne fait que reprendre ce qui se pratiquait déjà sous le régime précédent des tsars.

La technique fut inventée par Louis XIV en France.

Des fêtes royales étaient organisées par les souverains français avant Louis XIV. Mais le roi Soleil va codifier la pratique et lui donner une signification politique particulière. Elles correspondaient à l’instauration de l’absolutisme royal. La personne du roi devient centrale et l’ensemble de la société s’organise autour de sa personne. Ce n’était pas le cas auparavant, il y avait une signification politique dans les carrousels, mais le roi occupait une place parmi d’autres acteurs dans le spectacle. Avec Louis XIV, la fête devient spectaculaire afin de montrer et de mettre en scène la puissance du roi et d’inciter la population à adhérer à la personne du roi. Nous étions déjà dans l’utilisation du conditionnement pour créer un mythe politique.

C’est ce que dit Louis XIV dans son “Mémoire pour l’instruction du Dauphin” en expliquant à son futur successeur l’importance politique des grandes fêtes.

Cette société de plaisirs, qui donne aux personnes de la Cour une honnête familiarité avec nous, les touche et les charme plus qu’on ne peut dire. Les peuples, d’un autre côté, se plaisent au spectacle où, au fond, on a toujours pour but de leur plaire ; et tous nos sujets, en général, sont ravis de voir que nous aimons ce qu’ils aiment, ou à quoi ils réussissent le mieux. Par là nous tenons leur esprit et leur cœur, quelquefois plus fortement peut-être, que par les récompenses et les bienfaits ; et à l’égard des étrangers, dans un État qu’ils voient d’ailleurs florissant et bien réglé, ce qui se consume en ces dépenses qui peuvent passer pour superflues, fait sur eux une impression très avantageuse de magnificence, de puissance, de richesse et de grandeur.” (Louis XIV, Mémoires pour l’instruction du Dauphin, Paris, Imprimerie nationale, 1992, 281 p. (ISBN 978-2-11-081230-8), p. 135)

Louis XIV explique que par ses fêtes, il tient l’esprit et le cœur de la population. Il ajoute en disant que cela permet de montrer un Etat bien tenu et bien réglé. Il conclut en disant que cela montre au peuple un Etat plein de magnificence, de puissance, de richesse et de grandeur. Une leçon politique que retiendra Joseph Staline pour son propre compte.

En 1662, lors de la fête dite du “Grand Carrousel” dans la cour des Tuileries, Louis XIV donna une grande fête en l’honneur de la naissance du dauphin. C’est l’occasion de mettre en œuvre les principes de la fête politique qu’il avait explosé l’année précédente dans son “mémoire”.

Le Grand Carrousel donné par Louis XIV dans la cour des Tuileries à Paris (5-6 juin 1662), pour célébrer la naissance du dauphin.

En 1664, c’est la première d’une longue série de grandes fêtes dans un château de Versailles encore en travaux. Auront lieu d’autres grandes fêtes en 1668, 1674 et 1697. La pratique se maintiendra sous Louis XV et Louis XVI. La Révolution française créera ses propres fêtes inspirées de celles de Louis XIV, dont la fameuse fête de la Fédération du 14 juillet 1790.

Les Romanov vont également réaliser le même genre de commémoration pour les grands anniversaires. En 1912, ils vont commémorer le centenaire de la campagne de Russie, en 1914, ce sont les célébrations du tricentenaire de la dynastie des Romanov. Deux fêtes qui donneront lieu à d’impressionnantes cérémonies.

C’est donc dans cette longue tradition que va puiser Staline pour l’anniversaire de ses cinquante ans.

b : L’élimination des adversaires (1924-1929).

Le choix de cette date, 1929, ne relève pas du hasard.

En effet, pour que le culte de la personnalité soit efficace, il ne faut aucune voix discordante. Il faut donc éliminer toute opposition.

1929 vient s’inscrire dans un processus d’élimination des opposants politiques. Un processus qui s’est étalé sur trois ans.

En 1924, Staline va éliminer Léon Trotski (1879-1940), en l’accusant d’hérésie lors du XIIIe congrès. Son visage sera effacé des photos officielles. Il sera exclu du parti en 1927 et déporté à Alma Ata en 1928, puis expulsé d’Union Soviétique en 1929.

En 1925, Grigori Zinoviev (1883-1936) et Lev Kamenev (1883-1936) vont s’allier contre Staline. Lors d’une réunion du Comité central puis au moment du XIVe congrès du Parti, ils vont demander le départ de Staline, sans obtenir gain de cause.

En 1926 et 1927, Staline va faire expulser de leurs fonctions politiques, puis du parti, Zinoviev et Kamenev. Ils seront poursuivis lors du premier procès de Moscou où ils seront condamnés à mort, puis exécutés en 1936.

Nikolaï Boukharine (1888-1938) dirige l’aile droite du Parti. Il va d’abord s’allier à Staline contre l’opposition de gauche. Mais il va ensuite subir les foudres du chef de l’URSS en 1929. Il sera exclu de toutes les instances dirigeantes. Comme pour les dirigeants de l’aile gauche, il sera victime des procès de Moscou et exécuté en 1938.

En 1929, il n’y a donc plus aucune opposition au sein du Parti communiste russe. Staline est seul au pouvoir. C’est pour cela que la situation politique est mûre pour l’instauration d’un culte de la personnalité, d’abord autour de Lénine à titre posthume, mort depuis quatre ans, puis ensuite sur la personne du chef du parti, Staline. Lorsqu’il existe des voix discordantes, la propagande est moins efficace en ce qui concerne le culte de la personnalité.

2. Contenu du culte de la personnalité stalinien.

Nous devons nous intéresser aux mécanismes psychologiques derrière le culte de la personnalité. C’est la répétition de l’image du chef qui va constituer une sorte de conditionnement. A la vérité, le culte de la personnalité doit s’appuyer sur un mythe politique. Le conditionnement va répéter un mythe politique qui ensuite sera associé à une personne. Il faut rattacher le chef de l’Etat à un mythe politique et le répéter pour que cela influence la population. C’est la base de la propagande politique.

Il y a trois éléments :

  • Un mythe politique.
  • Répétition du mythe politique.
  • Association du mythe politique à une personne.

Staline va utiliser cette technique avec un rare génie.

Il va comprendre que l’origine de la durée du tsarisme était fondée sur un rapport particulier entre le Tsar et le petit peuple. Ce rapport particulier était un mythe politique qui servait de fondement à la monarchie et lui a permis de durer dans le temps. Le Tsar était perçu par le peuple comme le père du peuple. Staline va donc appuyer son nouveau pouvoir sur l’idée qu’il est le petit père des peuples. (a)

Il va également comprendre que la Russie avait deux fondements : le Tsar et l’Église orthodoxe.

Il va reprendre de l’Église orthodoxe la pratique et le culte des icônes. Il va utiliser l’iconographie à son profit afin de donner une nature religieuse à son pouvoir (b).

Ce qui est important pour un homme politique, c’est de comprendre l’âme de son peuple et de l’utiliser à son profit. C’est un point essentiel de la propagande efficace. C’est ce qui va permettre au régime communiste de durer dans le temps et de susciter l’adhésion populaire. L’arme est redoutablement efficace.

a : Staline, petit père des peuples.

Staline va essayer de se faire passer pour un nouveau Tsar auprès du petit peuple. Ce qui constitue en quelque sorte une continuité dans la longue histoire de la Russie. Mais c’est également une rupture fondamentale dans l’histoire plus courte du parti bolchevique qui lui voulait rompre avec l’histoire monarchique du pays.

Le tsar était le père de la Nation russe, le père de son peuple. Cela donna naissance à l’expression “batiouchka” dans la langue russe, c’est-à-dire “le petit père du peuple”. C’est le nom affectueux que donnait le petit peuple au Tsar. Un surnom qui montre d’ailleurs le lien particulier qu’il pouvait exister entre le Tsar et son peuple, un lien affectueux avec un père qui protège ses enfants. C’est se qu’attend la population russe de son souverain.

Staline, avec une grande habileté, va tenter de reprendre à son compte ce rapport filial entre chef d’Etat et peuple en se faisant surnommé, “le petit père des peuples”. C’est une manière implicite de dire au pays qu’il est le nouveau Tsar après la mort tragique de Nicolas II. C’est fascinant de voir comment la reprise d’une simple expression peut venir raisonner si fort dans l’âme d’un peuple.

Staline va mettre au service de sa propagande le cinéma en utilisant le passé tsariste de la Russie. C’est ce que va faire Sergei Eisenstein à travers deux films sur la vie d’Ivan le Terrible. Deux chefs d’œuvres qu’il faut voir ou revoir sans modération. Le cinéma soviétique au sommet de son art.

Ces deux films, qui ont été commandés par le chef de l’État soviétique en personne, arrivent dans une période où Staline cherche justement à se poser comme un nouveau Tsar qui règne sur un immense empire russe reconstitué. Nous sommes à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Avec l’attaque allemande contre l’Union Soviétique du 22 juin 1941, Staline va tenter de renouer avec la Russie royaliste dans toute une série de discours qui constitue un tournant majeur dans l’histoire du pays.

a-1 : Le discours du 3 juillet 1941.

Le discours du 3 juillet 1941 prononcé à la radio est, selon moi, l’un des plus grands discours politiques de tous les temps. Il est intéressant de voir comment Staline va se positionner dans la longue histoire de la Russie millénaire et en appeler aux forces surgit des profondeurs du passé. C’est à ce moment-là que sa légende va se créer, car il a su puiser dans les mythes politiques fondateurs de la Russie pour y trouver sa propre légitimité.

Camarades ! Citoyens !
Frères et Sœurs !
Combattants de notre armée et de notre flotte !
Je m’adresse à vous, mes amis !

La perfide agression militaire de l’Allemagne hitlérienne, commencée le 22 juin, se poursuit contre notre Patrie.

Malgré la résistance héroïque de l’Armée rouge, et bien que les meilleures divisions de l’ennemi et les unités les meilleures de son aviation aient déjà été défaites et aient trouvé la mort sur les champs de bataille, l’ennemi continue a se ruer en avant, jetant sur le front des forces nouvelles.

Les troupes hitlériennes ont pu s’emparer de la Lituanie, d’une grande partie de la Lettonie, de la partie ouest de la Biélorussie, d’une partie de l’Ukraine occidentale.

L’aviation fasciste étend l’action de ses bombardiers, en soumettant au bombardement Mourmansk, Orcha, Moguilev, Smolensk, Kiev, Odessa, Sébastopol.

Un grave danger pèse sur notre Patrie.

Comment a-t-il pu se faire que notre glorieuse Armée rouge ait abandonné aux troupes fascistes une série de nos villes et régions ?

Les troupes fascistes allemandes sont-elles vraiment invincibles comme le proclament sans cesse à cor et a cri les propagandistes fascistes fanfarons ?

Non, bien sûr.

L’histoire montre qu’il n’a jamais existé et qu’il n’existe pas d’armées invincibles.

On estimait que l’armée de Napoléon était invincible.

Mais elle a été battue successivement par les troupes russes, anglaises, allemandes.

L’armée allemande de Guillaume, au cours de la première guerre impérialiste, était également considérée comme une armée invincible ; mais elle s’est vu infliger mainte défaite par les troupes russes et anglo-françaises, et elle a été finalement battue par les troupes anglo-françaises.

Il faut en dire autant de l’actuelle armée allemande fasciste de Hitler.

Elle n’avait pas encore rencontré de sérieuse résistance sur le continent européen.

C’est seulement sur notre territoire qu’elle a rencontré une résistance sérieuse.

Et si a la suite de cette résistance les meilleures divisions de l’armée fasciste allemande ont été battues par notre Armée rouge, c’est que l’armée fasciste hitlérienne peut également être battue et le sera comme le furent les armées de Napoléon et de Guillaume.

Qu’une partie de notre territoire se soit néanmoins trouvée envahie par les troupes fascistes allemandes, cela s’explique surtout par le fait que la guerre de l’Allemagne fasciste contre l’URSS a été déclenchée dans des conditions avantageuses pour les troupes allemandes et désavantageuses pour les troupes soviétiques.

En effet, les troupes de l’Allemagne, comme pays menant la guerre, avaient été entièrement mobilisées.

170 divisions lancées par l’Allemagne contre l’URSS et amenées aux frontières de ce pays se tenaient entièrement prêtes, n’attendant que le signal pour se mettre en marche.

Tandis que, pour les troupes soviétiques, il fallait encore les mobiliser et les amener aux frontières.

Chose très importante encore, c’est que l’Allemagne fasciste a violé perfidement et inopinément le pacte de non-agression conclu, en 1939, entre elle et l’URSS sans vouloir tenir compte qu’elle serait regardée par le monde entier comme l’agresseur.

On conçoit que notre pays pacifique, qui ne voulait pas assumer l’initiative de la violation du pacte, ne pouvait s’engager sur ce chemin de la félonie.

On peut nous demander : comment a-t-il pu se faire que le Gouvernement soviétique ait accepté de conclure un pacte de non-agression avec des félons de cette espèce et des monstres tels que Hitler en Ribbentrop ?

Le Gouvernement soviétique n’a-t-il pas en l’occurrence commis une erreur ?

Non, bien sûr.

Le pacte de non-agression est un pacte de paix entre deux Etats.

Et c’est un pacte de ce genre que l’Allemagne nous avait proposé en 1939.

Le Gouvernement soviétique pouvait-il repousser cette proposition ?

Je pense qu’aucun Etat pacifique ne peut refuser un accord de paix avec une Puissance voisine, même si a la tête de cette dernière se trouvent des monstres et des cannibales comme Hitler et Ribbentrop.

Cela, bien entendu, a une condition expresse : que l’accord de paix ne porte atteinte, ni directement ni indirectement, a l’intégrité territoriale, a l’indépendance et a l’honneur de l’Etat pacifique.

On sait que le pacte de non-agression entre l’Allemagne et l’URSS était justement un pacte de ce genre.

Qu’avons-nous gagné en concluant avec l’Allemagne un pacte de non-agression ?

Nous avons assuré a notre pays la paix pendant un an et demi et la possibilité de préparer nos forces a la riposte au cas où l’Allemagne fasciste se serait hasardée a attaquer notre pays en dépit du pacte.

C’est la un gain certain pour nous et une perte pour l’Allemagne fasciste.

Qu’est-ce que l’Allemagne fasciste a gagné et qu’est-ce qu’elle a perdu, en rompant perfidement le pacte et en attaquant l’URSS ?

Elle a obtenu ainsi un certain avantage pour ses troupes pendant un court laps de temps, mais elle a perdu au point de vue politique, en se démasquant aux yeux du monde comme un agresseur sanglant.

Il est hors de doute que cet avantage militaire de courte durée n’est pour l’Allemagne qu’un épisode, tandis que l’immense avantage politique de l’URSS est un facteur sérieux et durable, appelé à favoriser les succès militaires décisifs de l’Armée rouge dans la guerre contre l’Allemagne fasciste.

Voilà pourquoi toute notre vaillante armée, toute notre vaillante flotte navale, tous nos aviateurs intrépides, tous les peuples de notre pays, tous les meilleurs hommes d’Europe, d’Amérique et d’Asie, enfin tous les meilleurs hommes de l’Allemagne flétrissent l’action perfide des fascistes allemands et sympathisent avec le Gouvernement soviétique, approuvent la conduite du Gouvernement soviétique et se rendent compte que notre cause est juste, que l’ennemi sera écrasé, et que nous vaincrons.

La guerre nous ayant été imposée, notre pays est entré dans un combat a mort avec son pire et perfide ennemi, le fascisme allemand. Nos troupes se battent héroïquement contre un ennemi abondamment pourvu de chars et d’aviation.

L’Armée et la Flotte rouges, surmontant de nombreuses difficultés, se battent avec abnégation pour chaque pouce de terre soviétique.

Les forces principales de l’Armée rouge, pourvues de milliers de chars et d’avions, entrent en action. La vaillance des guerriers de l’Armée rouge est sans exemple. La riposte que nous infligeons a l’ennemi s’accentue et se développe. Aux côtés de l’Armée rouge le peuple soviétique tout entier se dresse pour la défense de la Patrie.

Que faut-il pour supprimer le danger qui pèse sur notre Patrie et quelles mesures faut-il prendre pour écraser l’ennemi ?

Il faut tout d’abord que nos hommes, les hommes soviétiques, comprennent toute la gravité du danger qui menace notre pays et renoncent a la quiétude et a l’insouciance, a l’état d’esprit qui est celui du temps de la construction pacifique, état d’esprit parfaitement compréhensible avant la guerre, mais funeste aujourd’hui que la guerre a radicalement changé la situation.

L’ennemi est cruel, inexorable.

Il s’assigne pour but de s’emparer de nos terres arrosées de notre sueur, de s’emparer de notre blé et de notre pétrole, fruits de notre labeur.

Il s’assigne pour but de rétablir le pouvoir des grands propriétaires fonciers, de restaurer le tsarisme, d’anéantir la culture et l’indépendance nationales des Russes, Ukrainiens, Biélorussiens, Lituaniens, Lettons, Estoniens, Ouzbeks, Tatars, Moldaves, Géorgiens, Arméniens, Azerbaidjans et autres peuples libres de l’Union soviétique ; de les germaniser, d’en faire les esclaves des princes et des barons allemands.

Il s’agit ainsi de la vie ou de la mort de l’Etat soviétique, de la vie ou de la mort des peuples de l’URSS ; il s’agit de la liberté ou de la servitude des peuples de l’Union soviétique.

Il faut que les hommes soviétiques le comprennent et cessent d’être insouciants ; qu’ils se mobilisent et réorganisent tout leur travail selon un mode nouveau, le mode militaire, qui ne ferait pas quartier a l’ennemi.

Il faut aussi qu’il n’y ait point de place dans nos rangs pour les pleurnicheurs et les poltrons, les semeurs de panique et les déserteurs ; que nos hommes soient exempts de peur dans la lutte et marchent avec abnégation dans notre guerre libératrice pour le salut de la Patrie, contre les asservisseurs fascistes.

Le grand Lénine, qui a créé notre Etat, a dit que la qualité essentielle des hommes soviétiques doit être le courage, la vaillance, l’intrépidité dans la lutte, la volonté de se battre aux côtés du peuple contre les ennemis de notre Patrie.

Il faut que cette excellente qualité bolchevique devienne celle des millions et des millions d’hommes de l’Armée rouge, de notre Flotte rouge et de tous les peuples de l’Union soviétique.

Il faut immédiatement réorganiser tout notre travail sur le pied de guerre, en subordonnant toutes choses aux intérêts du front et à l’organisation de l’écrasement de l’ennemi.
Les peuples de l’Union soviétique voient maintenant que le fascisme allemand est inexorable dans sa rage furieuse et dans sa haine contre notre Patrie qui assure a tous les travailleurs le travail libre et le bien-être.

Les peuples de l’Union soviétique doivent se dresser pour la défense de leurs droits, de leur terre, contre l’ennemi.

L’Armée et la Flotte rouges ainsi que tous les citoyens de l’Union soviétique doivent défendre chaque pouce de la terre soviétique, se battre jusqu’à la dernière goutte de leur sang pour nos villes et nos villages, faire preuve de courage, d’initiative et de présence d’esprit, – toutes qualités propres a notre peuple.

Il nous faut organiser une aide multiple a l’Armée rouge, pourvoir a son recrutement intense, lui assurer le ravitaillement nécessaire, organiser le transport rapide des troupes et des matériels de guerre, prêter un large secours aux blessés.

Il nous faut affermir l’arrière de l’Armée rouge, en subordonnant a cette œuvre tout notre travail ; assurer l’intense fonctionnement de toutes les entreprises ; fabriquer en plus grand nombre fusils, mitrailleuses, canons, cartouches, obus, avions ; organiser la protection des usines, des centrales électriques, des communications téléphoniques et télégraphiques ; organiser sur place la défense antiaérienne.

II nous faut organiser une lutte implacable contre les désorganisateurs de l’arrière, les déserteurs, les semeurs de panique, les propagateurs de bruits de toutes sortes, anéantir les espions, les agents de diversion, les parachutistes ennemis en apportant ainsi un concours rapide à nos bataillons de chasse.

Il ne faut pas oublier que l’ennemi est perfide, rusé, expert en l’art de tromper et de répandre de faux bruits.

De tout cela il faut tenir compte et ne pas se laisser prendre à la provocation.

Il faut immédiatement traduire devant le Tribunal militaire, sans égard aux personnalités, tous ceux qui, semant la panique et faisant preuve de poltronnerie, entravent l’œuvre de la défense.

En cas de retraite forcée des unités de l’Armée rouge, il faut emmener tout le matériel roulant des chemins de fer, ne pas laisser à l’ennemi une seule locomotive ni un seul wagon ; ne pas laisser a l’ennemi un seul kilogramme de blé, ni un litre de carburant.

Les kolkhoziens doivent emmener tout leur bétail, verser leur blé en dépôt aux organismes d’Etat qui l’achemineront vers les régions de l’arrière.

Toutes les matières de valeur, y compris les métaux non ferreux, le blé et le carburant qui ne peuvent être évacués doivent être absolument détruites.

Dans les régions occupées par l’ennemi il faut former des détachements de partisans à cheval et à pied, des groupes de destruction pour lutter contre les unités de l’armée ennemie, pour attiser la guérilla en tous lieux, pour faire sauter les ponts et les routes, détériorer les communications téléphoniques et télégraphiques, incendier les forêts, les dépôts, les convois.

Dans les régions envahies il faut créer des conditions insupportables pour l’ennemi et tous ses auxiliaires, les poursuivre et les détruire a chaque pas, faire échouer toutes les mesures prises par l’ennemi.

On ne peut considérer la guerre contre l’Allemagne fasciste comme une guerre ordinaire.

Ce n’est pas seulement une guerre qui se livre entre deux armées. C’est aussi la grande guerre du peuple soviétique tout entier contre les troupes fascistes allemandes.

Cette guerre du peuple pour le salut de la Patrie, contre les oppresseurs fascistes, n’a pas seulement pour objet de supprimer le danger qui pèse sur notre pays, mais encore d’aider tous les peuples d’Europe qui gémissent sous le joug du fascisme allemand.

Nous ne serons pas seuls dans cette guerre libératrice.

Nos fidèles alliés dans cette grande guerre, ce sont les peuples de l’Europe et de l’Amérique y compris le peuple allemand qui est asservi par les meneurs hitlériens.

Notre guerre pour la liberté de notre Patrie se confondra avec la lutte des peuples d’Europe et d’Amérique pour leur indépendance, pour les libertés démocratiques.

Ce sera le front unique des peuples qui s’affirment pour la liberté contre l’asservissement et la menace d’asservissement de la part des armées fascistes de Hitler.

Ceci étant, le discours historique prononcé par le Premier ministre de Grande-Bretagne, Monsieur Churchill, sur l’aide à prêter à l’Union soviétique et la déclaration du gouvernement des Etats-Unis se disant prêt à accorder toute assistance a notre pays ne peuvent susciter qu’un sentiment de reconnaissance dans le cœur des peuples de l’Union soviétique ; ce discours et cette déclaration sont parfaitement compréhensibles et significatifs.

Camarades, nos forces sont incalculables.

L’ennemi présomptueux s’en convaincra bientôt.

Aux côtés de l’Armée rouge se lèvent des milliers d’ouvriers, de kolkhoziens et d’intellectuels pour la guerre contre l’agresseur.

On verra se lever les masses innombrables de notre peuple.

Déjà les travailleurs de Moscou et de Leningrad, pour appuyer l’Armée rouge, ont entrepris d’organiser une milice populaire forte de milliers et de milliers d’hommes.

Cette milice populaire, il faut la créer dans chaque ville que menace le danger d’une invasion ennemie ; il faut dresser pour la lutte tous les travailleurs qui offriront leurs poitrines pour défendre leur liberté, leur honneur, leur pays, dans notre guerre contre le fascisme allemand, pour le salut de la Patrie.

Afin de mobiliser rapidement toutes les forces des peuples de l’URSS, en vue d’organiser la riposte a l’ennemi qui a attaqué perfidement notre Patrie, il a été formé un Comité d’Etat pour la Défense, qui détient maintenant la plénitude du pouvoir dans le pays.

Le Comité d’Etat pour la Défense a commencé son travail, il appelle le peuple entier a se rallier autour du Parti de Lénine et de Staline, autour du Gouvernement soviétique, pour soutenir avec abnégation l’Armée et la Flotte rouges, pour écraser l’ennemi, pour remporter la victoire.

Toutes nos forces pour le soutien de notre héroïque Armée rouge, de notre glorieuse Flotte rouge !

Toutes les forces du peuple pour écraser l’ennemi !

En avant vers notre victoire !”

Il faut écouter l’enregistrement sur youtube pour comprendre l’angoisse qui transparaît dans la voix de Joseph Staline. On sent que le destin personnel du chef de l’Etat et de son régime se joua lors de ces semaines décisives. L’attaque fut lancée le 22 juin, mais ce ne fut que le 3 juillet qu’il prendra solennellement la parole publiquement. Il est désemparé et sidéré par l’attaque, et cela se sent dans le ton de sa voix, mais également dans les mots d’une incroyable force qu’il va employer pour faire réagir le peuple soviétique. On le sent bien, car il détache chaque mot, chaque phrase, il parle lentement et calmement, ce qui est un signe de sidération.

Au niveau de la rhétorique, il va jouer sur la menace existentielle pour le régime soviétique et pour la Russie. “Un grave danger pèse sur notre Patrie“, “Notre pays est entré dans un combat a mort avec son pire et perfide ennemi, le fascisme allemand”, Il s’agit ainsi de la vie ou de la mort de l’Etat soviétique, de la vie ou de la mort des peuples de l’URSS “.

Il va ensuite insister pour que la population doive “défendre chaque pouce de la terre soviétique, se battre jusqu’à la dernière goutte de leur sang pour nos villes et nos villages, indiquant que “ce n’est pas seulement une guerre qui se livre entre deux armées. C’est aussi la grande guerre du peuple soviétique tout entier contre les troupes fascistes allemandes.

Il parle de manière évidente du peuple soviétique en lieu et place du peuple russe. Il n’est pas question de Russie, mais d’Union Soviétique. Il faut défendre le régime soviétique et exclusivement le régime soviétique. Le discours est sans ambiguïté sur ce point. Mais il parvient à glisser quelques références à la gloire passée de la Russie. Il évoque la victoire contre Napoléon en 1812, à la résistance russe lors de la Première Guerre mondiale. En 1812 comme en 1914, la Russie était dirigée par un Tsar. Il y a donc une référence indirecte à la période tsariste qui peut paraître étonnante. Ce n’est en réalité que le début d’un long processus qui va aboutir à amener le peuple à considérer Staline comme un nouveau Tsar russe.

a-2 : Le discours du 7 novembre 1941.

Le 7 novembre 1941, l’armée allemande est aux portes de Moscou. L’heure est plus grave que jamais. Un péril mortel menace le régime soviétique. Staline décide quand même de maintenir le défilé militaire de l’armée sur la place Rouge à l’occasion du vingt-quatrième anniversaire de la Révolution d’Octobre. A cette occasion, il va prononcer un discours où il va de manière explicite faire appel aux anciennes gloires de la Russie des tsars pour obtenir la victoire contre le nazisme.

Camarades soldats et marins rouges, commandants et travailleurs politiques, ouvriers et ouvrières, kolkhoziens et kolkhoziennes, travailleurs intellectuels, frères et sœurs qui, à l’arrière de notre ennemi, êtes tombés momentanément sous le joug des bandits allemands, − nos glorieux partisans et partisanes − qui détruisez les arrières des envahisseurs allemands !

Au nom du Gouvernement soviétique et de notre Parti bolchevik, je vous salue et vous félicite à l’occasion du 24e anniversaire de la Grande Révolution socialiste d’Octobre.

Camarades, nous célébrons aujourd’hui le 24e anniversaire de la Révolution d’Octobre en une heure très grave. L’agression perfide des bandits allemands et la guerre qu’ils nous ont imposée mettent en péril notre pays. Nous avons perdu temporairement une série de régions. L’ennemi est aux portes de Leningrad et de Moscou. Il comptait qu’au premier choc notre armée serait dispersée et notre pays mis à genoux. Mais l’ennemi s’est cruellement trompé. Malgré les insuccès temporaires, notre année et notre flotte repoussent héroïquement les attaques ennemies sur toute la ligne du front, lui infligeant de lourdes pertes ; et notre pays − tout notre pays, − a formé un seul camp de guerre pour assurer, de concert avec notre armée et notre flotte, la débâcle des envahisseurs allemands.

Il y a eu des jours où notre pays connut une situation encore plus pénible. Rappelez-vous l’année 1918, date à laquelle nous célébrions notre premier anniversaire de la Révolution d’Octobre. Les trois quarts de notre pays se trouvaient alors aux mains de l’intervention étrangère. Nous avions momentanément perdu l’Ukraine, le Caucase, l’Asie centrale, l’Oural, la Sibérie, l’Extrême-Orient. Nous n’avions pas d’alliés, nous n’avions pas d ’Armée rouge, − nous étions seulement en train de la créer ; nous manquions de blé, d’armement, d’équipements. 14 Etats enserraient notre pays, mais nous ne nous laissions pas décourager, ni abattre. C’est dans le feu de la guerre que nous organisions alors notre Armée rouge et avions changé notre pays en un camp retranché. L’esprit du grand Lénine nous inspirait alors pour une guerre contre l’intervention étrangère. Et qu’est-il advenu ?

Nous avons battu l’intervention, récupéré tous les territoires perdus et obtenu la victoire.

Maintenant la situation de notre pays est bien meilleure qu’il y a vingt-trois ans. Notre pays est de beaucoup plus riche, maintenant en industrie, en denrées alimentaires et en matières premières, qu’il y a vingt-trois ans. Nous avons maintenant des alliés qui forment avec nous un front unique contre les envahisseurs allemands. Nous jouissons maintenant de la sympathie et du soutien de tous les peuples d’Europe tombés sous le joug de la tyrannie hitlérienne. Nous possédons maintenant une armée remarquable et une remarquable flotte, qui font un rempart de leurs corps pour sauvegarder la liberté et l’indépendance de notre Patrie. Nous n’éprouvons pas un sérieux manque de produits alimentaires, ni d’armement, ni d’équipements. Tout notre pays, tous les peuples de notre pays soutiennent notre armée, notre flotte ; ils les aident à battre les hordes d’invasion des fascistes allemands. Nos réserves en hommes sont inépuisables. L’esprit du grand Lénine et son victorieux drapeau nous exaltent aujourd’hui, comme il y a vingt-trois ans, dans la guerre pour le salut de la Patrie.

Peut-on douter que nous pouvons et devons vaincre les envahisseurs allemands ?

L’ennemi n’est pas aussi fort que le représentent certains intellectuels apeurés. Le diable n’est pas si noir qu’on le fait. Qui peut nier que notre Armée rouge ait plus d’une fois mis en fuite les fameuses troupes allemandes prises de panique ? Si l’on en juge non pas d’après les déclarations fanfaronnes des propagandistes allemands, mais d’après la situation véritable de l’Allemagne, on comprendra sans peine que les envahisseurs fascistes allemands sont à la veille d’une catastrophe. La famine et la misère règnent actuellement en Allemagne ; en quatre mois de guerre l’Allemagne a perdu 4.500.000 soldats, son sang coule à flots, ses réserves en hommes sont près de s’épuiser, l’esprit d’indignation s’empare non seulement des peuples de l’Europe tombés sous le joug des envahisseurs allemands, mais aussi du peuple allemand lui-même, qui n’aperçoit pas la fin de la guerre. Les envahisseurs allemands tendent leurs dernières forces. Il est hors de doute que l’Allemagne ne peut soutenir longtemps une tension pareille. Encore quelques mois, encore six mois, peut-être une petite année, et l’Allemagne hitlérienne devra crouler sous le poids de ses forfaits.

Camarades soldats et marins rouges, commandants et travailleurs politiques, partisans et partisanes ! Le monde entier voit en vous une force capable d’anéantir les hordes d’invasion des bandits allemands. Les peuples asservis de l’Europe, tombés sous le joug des envahisseurs allemands, vous regardent comme leurs libérateurs, Une grande mission libératrice vous est dévolue. Soyez donc dignes de cette mission. La guerre que vous menez est une guerre libératrice, une guerre juste. Puisse vous inspirer dans cette guerre le glorieux exemple de nos grands ancêtres Alexandre Nevski, Dimitri Donskoï, Kouzma Minin, Dimitri Pojarski, Alexandre Souvorov, Mikhaïl Koutouzov ! Que le drapeau victorieux du grand Lénine vous rallie sous ses plis !”

Après avoir récité le discours habituel sur les anciennes gloires de l’Armée rouge en 1918, Staline va évoquer en toute fin de discours le passé tsariste de la Russie en citant un certain nombre de “grands ancêtres” qui vont faire vibrer la fibre patriotique de l’ensemble des Russes, qu’ils soient communistes ou monarchistes.

Une grande mission libératrice vous est dévolue. Soyez donc dignes de cette mission. La guerre que vous menez est une guerre libératrice, une guerre juste. Puisse vous inspirer dans cette guerre le glorieux exemple de nos grands ancêtres Alexandre Nevski, Dimitri Donskoï, Kouzma Minin, Dimitri Pojarski, Alexandre Souvorov, Mikhaïl Koutouzov !

Il est question d’Alexandre Nevski, de Dimitri Donskoï, de Kouzma Minin, de Dimitri Pojarski, d’Alexandre Souvorov et de Mikhail Koutouziv.

Alexandre Nevski (1220-1263) est un héros national russe qui devint saint de l’Eglise orthodoxe. D’ailleurs, plusieurs églises en Russie portent son nom. Il remporta de nombreuses batailles contre les Suédois et les chevaliers teutoniques. Sergei Eisenstein tourna un film sur sa vie en 1938, ce qui montrait déjà l’intérêt de Staline pour son personnage avant la Deuxième Guerre mondiale. Le film montre le combat d’Alexandre Nevski contre les chevaliers teutoniques qui sont les ancêtres des Allemands actuels.

Nikolay Cherkasov jouant Alexandre Nevski dans le film de Sergeï Eisenstein.

Dimitri Donskoï (1350-1389) est également un saint de l’orthodoxie qui libéra la Russie du joug tataro-mongole lors de la bataille de Koulikovo, le 8 septembre 1380.

Même de nos jours, lorsque vous visitez la place rouge, vous pouvez voir une statue de Mimine et Pojarski devant la merveilleuse église de Basile le Bienheureux (une église dont les dômes ressemblent à des cônes de glace.

Statue de Minin et Pojarski devant l’église Basile le Bienheureux, Place rouge, Moscou. Photo : Chaulveron.

Kouzma Minin (1570-1616) et Dimitri Pojarski (1577-1642) vont former l’alliance du petit peuple et de la noblesse russe pour mettre fin au temps des troubles, c’est-à-dire à la période de guerre civile et de désordre qui eut lieu après la mort d’Ivan le Terrible et jusqu’au rétablissement de l’ordre avec l’arrivée sur le trône de Michel Romanov.

Alexandre Souvorov (1730-1800) fut un général russe qui ne connut jamais la défaite. Il mena des guerres contre les Ottomans, les Polonais ou participa à la campagne d’Italie contre Napoléon.

Enfin, en parlant de Napoléon, Mikhaïl Koutouzov (1745-1813) mena la campagne de Russie avec succès contre l’Empereur des Français.

a-3 : “Ivan le Terrible” (1944) de Sergei Eisenstein.

Désormais, Staline cherche à se présenter comme le continuateur de la Russie impériale en empruntant à son profit toutes les gloires du passé tsariste. C’est à ce moment-là qu’il va utiliser le cinéma pour tourner des films sur l’histoire de la Russie d’avant 1917. Il va demander à Eisenstein de tourner une série de films en hommage à Ivan IV le Terrible. Nous sommes en 1945. L’URSS a triomphé du nazisme et Staline est au sommet de sa gloire.

Le premier film s’ouvre sur le sacre d’Ivan. Une séquence qui va marquer tous les esprits et restera dans l’histoire du cinéma pour ses décors, son impressionnante mise en scène et surtout la musique de Sergei Prokofiev. Eisenstein est au sommet de son art.

Le réalisateur tente un étonnant parallèle entre Ivan le Terrible et Staline. Sous-entendant de manière implicite que Staline est le continuateur du Tsar.

Avant même le couronnement, le public voit s’afficher une série de panneaux qui indique qu’Ivan le Terrible a été l’unificateur de la Russie contre les ennemis de la Russie”. Puis c’est un gros plan sur la couronne de Tsar posée sur un coussin.

Couronne d’Ivan le Terrible, “Ivan le Terrible”, Eisenstein, 1945.

Puis, au côté de la couronne se trouve le globe surmonté d’une croix, attribut habituel des Tsars.

Couronne et globe d’Ivan le Terrible, “Ivan le Terrible”, Eisenstein, 1945.

Ensuite, Ivan passe la porte de l’église où l’attend une haie d’honneur de prêtres en tenue avec croix et bougies.

Entrée d’Ivan le Terrible, “Ivan le Terrible”, Eisenstein, 1945.

Puis la foule qui représente le peuple s’incline devant son futur Tsar.

Le peuple s’incline devant Ivan le Terrible, “Ivan le Terrible”, Eisenstein, 1945.

Il va recevoir la couronne du métropolite de Moscou.

Couronnement d’Ivan le Terrible, “Ivan le Terrible”, Eisenstein, 1945.

Mais il va se mettre lui-même la couronne sur la tête, comme le fera Napoléon au sacre de Notre-dame.

Couronnement d’Ivan le Terrible, “Ivan le Terrible”, Eisenstein, 1945.

Nous voyons une mise en scène très particulière d’Eisenstein qui décide de ne pas montrer l’onction avec l’huile sainte et de lui préférer l’image d’un Tsar qui se met lui-même la couronne sur la tête, afin de bien montrer qu’il ne doit son titre de Tsar de Russie qu’à lui-même. L’Eglise accompagne le souverain, l’entoure, mais reste à son service.

Couronnement d’Ivan le Terrible, “Ivan le Terrible”, Eisenstein, 1945.

Le peuple qui s’agenouille est soumis au Tsar. Il est passif et simple spectateur inférieur devant le pouvoir qui se met en scène devant lui.

C’est une relecture particulière de la mise en scène du pouvoir royal en Russie, afin d’être conforme à l’image que souhaite en donner Staline. Ce qui frappe dans la mise en scène du sacre, c’est la solitude d’Ivan face au pouvoir, comme ce sera le cas de Staline durant son règne.

Le deuxième film tourné en même temps que le premier montre un Tsar vieillissant et affaibli qui va fortement déplaire à Staline. Il s’opposera à sa diffusion auprès du public. Le film ne sera projeté dans les salles soviétiques qu’après la mort de Staline et le XXe congrès. Pourtant, la critique du pouvoir autoritaire et solitaire de Staline était déjà présente de manière plus subtile dans le premier volet. La splendeur de la mise en scène du couronnement flatta l’ego de Staline qui n’osa pas le censurer.

Il faudra attendre treize ans pour que soit tourné une suite au film. Le deuxième date de 1958. C’est le dernier film de Sergei Eisenstein. Il mourra trois ans plus tard, en 1948. Ce ne sera pas le dernier génie du cinéma soviétique, nous parlerons ensuite d’Andreï Tarkovski qui mettra merveilleusement en image l’autre aspect de la propagande politique comme mythe politique.

b : Staline et l’iconographie.

b-1 : Importance de l’icone dans la religion orthodoxe.

Staline a également puisé sa mise en scène du culte de la personnalité dans un autre fondement psychologique de la Russie éternelle, l’iconographie. Il n’y a pas de Russie sans son iconographie. Qui a déjà visité la Russie ne peut que le constater avec moi. Il n’y a pas une église, une cathédrale où vous ne trouvez pas, même de nos jours, une jeune fille ou un jeune homme en train de peindre une copie d’une icône dont il prend modèle. Cela m’a toujours impressionné, car c’est tellement éloigné de ma culture française.

J’ai parcouru la Russie pendant des années. Moins de nos jours, je n’ai plus d’argent pour le faire. Hélas. Mais cela n’a sûrement pas dû changer. Voici par exemple une photo prise par mes soins en 2011 à Rostov-le-Grand.

Kremlin de Rostov, Rostov le Grand, photo : Chaulveron, 2011.
Kremlin de Rostov, Rostov-le-Grand. Photo : Chaulveron, 2011.

C’est dans ce vieil imaginaire russe que Staline va puiser son idée d’utiliser des images de lui au service de sa propagande. Cela renvoi aux cultes des saints et des icônes si typiques de l’orthodoxie. Une bonne campagne de propagande doit toujours s’appuyer sur un puissant arrière-fond historique. Il faut connaître les racines profondes du peuple et savoir en jouer. Staline était passé maître dans ce domaine.

Nous sommes déjà dans le domaine du mythe politique et de la manière dont on peut faire naître un sauveur. Dans le cadre de la propagande, la construction du mythe doit non seulement prendre sa source dans la pensée profonde d’un peuple, mais il doit le répéter afin de conditionner la population.

L’image de Staline va être diffusée sur l’ensemble de l’espace public, par l’intermédiaire des médias de masse (radio, télévision, cinéma), par l’art ou la littérature.

Regardons par exemple comment la foule porte religieusement le portrait de Staline comme une icône.

Nous retrouvons le même type d’image sur le célèbre tableau d’Illarion Prianichnikov représentant une procession avec des icônes à Koursk.

Procession de Pâques au bord de la Louza 1893 par Illarion Prianichnikov

Le parallèle est vraiment frappant.

J’ai moi-même été témoin à plusieurs reprises de ce genre de procession religieuse en Russie ou en Ukraine (un territoire de culture russe… n’en déplaise à certains)

Par exemple, à Sergeïev Possad dans les environs de Moscou où je suis tombé par le plus pur des hasards sur une procession religieuse en plein mois de juillet, dirigée par le patriarche de Moscou.

Sergeiev Possad. Photo : Chaulveron, 2011.

A Kiev, au moment de Maïdan, à l’époque, je me trouvais à Kiev, il n’était pas rare de voir des prêtres orthodoxes tenant une icône entre la police et les émeutiers afin d’empêcher toute violence. Ce qui m’impressionna le plus, c’est que personne n’osait intervenir d’un côté ou de l’autre de peur de blesser le prêtre ou d’endommager l’icône. Des scènes qui me marquèrent à vie. En France, nous sommes tellement éloignés de cela.

C’est parce que Staline a su utiliser avec brio ce grand principe qu’il a obtenu une telle adhésion populaire autour de sa personne, comme semble s’en étonner l’ambassadeur anglais en poste à Moscou, en février 1935 :

À l’ouverture du Congrès des Soviets de toute l’Union, fonction qui ne fut guère autre chose qu’une glorification du Chef, les deux mille délégués se levèrent chaque fois que le nom de M. Staline fut prononcé, acclamant, applaudissant et chantant l’Internationale, parfois même pendant dix minutes. On remarquait que personne n’osait cesser d’applaudir, de peur que son voisin ne s’en aperçût, jusqu’à ce que l’orateur eût repris sa place pour signaler la fin de l’ovation. À une autre occasion, lors de l’inauguration d’une exposition d’art théâtral, un orateur, s’apercevant, à la fin de son discours, que la référence à M. Staline comme père des arts et du théâtre de la nouvelle Russie avait été oubliée, se précipita de nouveau sur l’estrade, pâle, et fit un panégyrique.” (Foreign Office R, ecords, « Viscount Chilston to Sir John Simon, 22 February 1935 : N 1017/6/38 » cité dans Hyde (1971, pp. 317-318))

b-2 : Andreï Roublev (1969) d’Andreï Tarkovski.

Le cinéma soviétique va d’ailleurs mettre en images la vie du plus célèbre iconographe russe, Andreï Roublev (1360-1430) par un autre génie du septième art, Andreï Tarkovski (1932-1986). Il y a une vraie continuité, outre le prénom commun, entre les deux personnages. L’un va mettre en images sous forme de peinture les grandes figures du christianisme orthodoxe, l’autre va mettre en images le peintre. Une image fixe pour l’un, des images qui bougent pour l’autre.

Je me rappelle, cette funeste année 1986, même encore aujourd’hui, pour la mort de Franck Herbert (l’auteur de Dune), de Daniel Balavoine ou de Coluche, mais également celle d’Andreï Tarkovski. Son film “Solaris” est considéré comme le plus grand film de science-fiction de l’histoire, à égalité avec “2001, l’odyssée de l’espace” de Stanley Kubrick.

Andreï Roublev tourne son film entre 1965 et 1966 et sortira aux cinéma en 1969. Comme jadis Eisenstein avec Ivan le terrible“, Andreï Roublev aura un rapport très compliqué avec les autorités soviétiques. C’est presque le même scénario qui se rejoue avec trente ans d’écart.

Au départ, le film sur la vie de l’iconographe est une commande de Leonid Brejnev. Mais le réalisateur va en faire une œuvre qui plaide en faveur de l’orthodoxie, alors que Brejnev entendait justement montrer le lien entre l’Union soviétique et les icônes. Brejnev quittera la projection privée avant la fin. Le comité de censure fera retirer trente minutes du film sur trois heures. Le film est autorisé à la diffusion internationale, mais interdit en URSS jusqu’en 1971.

Andreï Roublev a vécu dans une période très troublée de l’histoire de la Russie. C’est l’invasion tatare. Cette période très troublée va donner naissance au plus grand génie de l’iconographie russe. Le cinéaste montre le contexte historique et l’influence de celui-ci sur la création de l’artiste.

La scène d’ouverture est un chef d’œuvre. Un dirigeable est prêt à s’envoler. Il se trouve au pied de l’église de l’Intercession de la Vierge sur la Nerl à Bogolioubovo.

“Andrei Roublev”, Tarkovski (1969).

Le ballon avec un homme s’envole sur le long de la façade de l’Eglise.

“Andrei Roublev”, Tarkovski (1969).

Donnant lieu à de superbes images sur les sculptures de la façade.

“Andrei Roublev”, Tarkovski (1969).

Enfin, le dirigeable survole le monastère de l’Intercession à Souzdal.

Le monastère de l’Intercession à Souzdal vu du ciel, “Andreï Roublev”, Tarkovski (1969)

Nous sommes ici au cœur historique de l’orthodoxie russe. J’ai visité ces lieux il y a quelques années. Je me rappelle encore aujourd’hui l’émotion qui m’avait envahie à l’époque. Comment oublier Bogolioubovo et Souzdal.

Bogolioubovo est un lieu improbable sorti de nulle part, un miracle de la nature de chaque instant. Un miracle permanent fait de main d’homme au milieu d’une nature déchaînée. Un miracle réalisé au nom de Dieu. C’est l’équivalent du mont Saint-Michel. C’est une minuscule église de pierre blanche avec un dôme noir et une croix dorée construite près de la rivière Nerl. La zone est envahie par les eaux et entoure l’édifice de novembre à avril. Durant cette période, il n’est pas possible de la visiter. Et encore, en hiver, l’eau est gelée, rendant la navigation impossible. C’est pour cette raison que le réalisateur montre l’église vue du ciel survolé par un dirigeable.

Eglise de l’intercession en période de crue en 2005.

Il n’est donc possible de la voir qu’uniquement entre avril et novembre. La visite de ce lieu extraordinaire est toute une aventure. Je me rappelle de chaque instant de cette merveilleuse journée. L’église est située à quelques kilomètres du village de Bogolioubovo. Un magnifique petit village traditionnel russe avec des maisons en bois. Il faut passer devant la petite gare de bois pour aller voir l’église.

Gare de Bogolioubovo, photo : Chaulveron (2011).

Il faut ensuite prendre un petit chemin de terre pour aller vers l’église.

Eglise de l’intercession, Bogolioubovo, photo : Chaulveron (2011).

La petite rivière Nerl se trouve au pied de l’église et reçoit le reflet du monument.

Eglise de l’intercession, Bogolioubovo, photo : Chaulveron (2011).

Ce qui frappe tous les esprits, c’est le caractère modeste du monument, au milieu d’une nature impitoyablement difficile. Petite et fragile, elle parvient à se maintenir en vie dans une nature très dure. C’est un miracle permanent de chaque jour qui montre que Dieu la protège. On a tous ressenti cela lors de notre visite.

Avec Souzdal, c’est autre chose. C’est une ville-musée. J’ai passé trois jours inoubliables à Souzdal, en 2011. J’ai justement dormi à l’intérieur du monastère de l’Intercession qui accueil des touristes occidentaux.

Monastère de l’intercesson, Souzdal. Photo : Chaulveron (2011).

j’ai eu l’impression d’utiliser la Dolorean volante de “Retour vers le futur” en vivant dans la Russie aux temps des Tsars. La ville n’a gardé aucune trace de l’époque soviétique… sauf une minuscule statue de Lénine (qui n’a même pas été enlevé en 1991). Un lieu paradisiaque.

Le monastère du Sauveur-Saint-Euthyme, Souzdal. Photo : Chaulveron (2011)
Le monastère du Sauveur-Saint-Euthyme, Souzdal. Photo : Chaulveron (2011)
Le monastère du Sauveur-Saint-Euthyme, Souzdal. Photo : Chaulveron (2011)
Le monastère du Sauveur-Saint-Euthyme, Souzdal. Photo : Chaulveron (2011)

On ne comprend rien à la Russie et à sa magie si l’on n’a pas été voir Bogolioubovo et Souzdal. C’est ce que dit Andreï Tarkovski en ouverture de son film. C’est aussi ce qu’a compris Leonid Brejnev en quittant la séance du film avant la fin. Il comprend que le réalisateur essaye de faire passer le message que la vraie Russie a la cœur qui bat à Bogolioubovo et à Souzdal. La Russie de l’orthodoxie et des Tsars. Le message dû être un terrible affront pour le dirigeant soviétique.

Dans le reste du film, nous voyons Andreï Roublev peindre des icônes, peindre des fresques sur les murs de plusieurs églises en Russie, dont la cathédrale de l’Ascension de Vladimir. Il espère être recruté pour participer à la décoration de la cathédrale de l’Annonciation à l’intérieur du Kremlin de Moscou. On l’entend discuter avec ses apprentis des différentes techniques de l’iconographie, de la manière d’obtenir telle ou telle couleur. On assiste en spectateur à ses doutes. La scène finale du film, que n’a donc pas vue Leonid Brejnev se passe à Souzdal. La ville se remet doucement de la terrible peste qui l’avait frappée. Elle espère que la construction des églises et la peinture des icônes va permettre son redressement. On entend que le réalisateur désire faire un parallèle avec la Russie soviétique dont il espère le redressement par la redécouverte de sa foi orthodoxe et le retour des Tsars. Un film monumental qui n’a pas pris une ride.

B. La propagande italienne (1922-1945).

Avec Benito Mussolini, nous sommes dans le même mécanisme psychologique d’utilisation des mythes politiques par le conditionnement. Les deux hommes politiques ont été à la même école de pensée. Mais il y a une énorme différence entre les deux, ils ne dirigent pas les mêmes peuples. Russes et Italiens sont très différents. Il faudra donc faire appel à des ressorts psychologiques différents. Il faudra aller puiser dans les tréfonds de l’Inconscient collectif italien d’autres éléments. C’est ce que va faire Benito Mussolini avec un rare génie. Il va comprendre l’histoire de l’Italie, et va aller chercher dans une certaine tradition de son pays, les moyens de faire réagir son peuple dans ses intérêts.

Il aurait pu puiser ses idées dans l’Église catholique et ses liens historiques avec l’Italie. Il ne pouvait pas le faire, car il y avait le pape. Le Pape n’entendait pas jouer ce rôle et s’opposa avec force à Mussolini. Un Mussolini qui ne venait pas de la droite catholique, mais plutôt de la gauche anti-cléricale. Il était l’héritier des ennemis de l’Eglise. Il ne pouvait donc pas faire appel à ce registre historique. Il ira donc prendre sa source d’inspiration dans l’autre élément qui marqua la mémoire des Italiens, l’Empire romain. Il en reprendra le titre de “Duce” qui est directement issu de l’histoire antique de Rome (1), comme la notion de faisceaux des licteurs, deux symboles politiques issus de la tradition de Rome (2).

1. Le Duce.

Il est toujours étonnant de voir comment un mot, un simple mot peut venir raisonner aussi fort dans la mémoire du petit peuple. C’est fascinant qu’un terme de quatre lettres peut amener la masse d’une population à agir dans une certaine direction. J’aurais presque envie de dire contre sa volonté. C’est un principe que Mussolini a très vite compris, car il imposa très tôt l’utilisation du terme “duce” à son entourage (a), un terme qui renvoie à a histoire ancienne (b).

a : Utilisation précoce du terme “duce” par Mussolini.

La meilleure biographie écrite sur Mussolini, en langue française, est celle de Pierre Milza.

Elle comporte une remarquable description de son milieu familial et en particulier de son père, qui était un militant socialiste en Émilie-Romagne. Il décrit en particulier sa formation intellectuelle qui ne fait aucun doute sur sa pensée socialiste de gauche que l’on retrouvera toute sa vie.

Il (le père de Mussolini) a façonné sa culture politique, par les conversations qu’il a eues avec lui, par les livres qu’il lui a fait lire de bonne heure, par les textes que lui même concoctait pour la presse socialiste locale. Il lui a inculqué et durablement – l’idée que lui-même se faisait du socialisme et de la société future : libertaire, républicaine, anticléricale.” (Pierre Milza, Mussolini, p. 18).

Nous le voyons, nous sommes très loin d’un Mussolini d’extrême droite, fervent catholique et soutenu par l’Eglise.

Il fréquenta des militants socialistes dès 1901, sans pour autant être un militant encarté. C’est lors de son exil en Suisse qu’il adhéra au syndicat italien des maçons, en août 1902. Il en deviendra le secrétaire à Lausanne. Durant son séjour en Suisse, il croisera le chemin d’un autre exilé célèbre, Lénine, comme le relate Pierre Milza (p. 76).

C’est à partir d’une de ses amitiés qu’il aura rencontrées en Suisse qu’il dirigera son premier journal à Oneglia.

Au cours des quatre mois où il demeura en charge de La Lima, il publia vingt-quatre articles, la plupart d’inspiration anticléricale et portant la signature, déjà utilisée à Tolmezzo, de Vero Eretico.” (Pierre Milza, Mussolini, p. 100)

Il quitte la Suisse en 1909, pour se rendre dans la région de Trente, afin de diriger le Parti socialiste local et le journal du parti. Dans un article du 29 janvier 1909, la nouvelle de sa nomination est annoncée ainsi :

Le choix ne pouvait être meilleur puisque Benito Mussolini, outre qu’il est un lutteur éprouvé, est aussi un fervent propagandiste, spécialement versé en matière d’anticléricalisme ; c’est un jeune homme cultivé et, pour le plus grand avantage de notre mouvement, il connaît parfaitement la langue allemande.” (cité par Pierre Milza, Mussolini, p. 108)

Trente était alors une terre italienne en territoire autrichien. Il sera expulsé d’Autriche et devra retourner chez lui à Forli où il sera désigné chef du Parti socialiste, en 1909. C’est le début d’une ascension fulgurante qui le mènera à devenir le leader du Parti socialiste en Emilie-Romagne, puis le directeur du journal “l’Aventi”, en 1912.

En 1911, Benito Mussolini est condamné à cinq mois de prison pour avoir protesté avec trop de véhémence contre la guerre coloniale que l’Italie mène en Libye. C’est lors de sa sortie de prison, en 1912, que Mussolini sera qualifié pour la première fois par les militants de Romagne de “duce”. Cela est noté par Pierre Milza dans sa biographie.

Bref, si le mot n’est pas encore prononcé – il le sera pour la première fois lors du banquet qui lui est offert à sa sortie de prison en 1912, – il se comporte déjà en tout point comme le “duce” (le “guide”) des socialistes romagnols.” (Pierre Milza, Mussolini, p. 130)

L’expression “duce”, dont nous ferons l’historique était un terme utilisé habituellement par la gauche de l’échiquier politique italien.

Ce dernier n’a pas désavoué, avons-nous dit, le culte de sa personnalité. Mais il ne l’a pas non plus inventé : à la différence de ce qui s’est passé en Allemagne et en URSS, le culte du chef charismatique s’est développé en Italie postérieurement à l’apparition du mythe mussolinien et après l’institutionnalisation par le régime de la religion patriotique. Ce mythe a d’ailleurs beaucoup évolué avec le temps. Déjà, pour les socialistes de Romagne, puis pour la majorité révolutionnaire qui triomphe lors du congrès de Reggio Emilia, Mussolini est le “Duce” – le “guide” -, selon une tradition sémantiue propre à l’extrême gauche italienne, l’incarnation d’un socialisme intransigeant porteur des espoirs du prolétariat.” (Pierre Milza, Mussolini, p. 556)

Il faut évoquer un autre livre très important sur le rôle de la propagande dans le fascisme italien, “la religion fasciste” d’Emilio Gentile, publié en 1993 par un professeur d’université italien. Il propose une analyse inédite et étonnante de Mussolini.

L’univers symbolique de la religion fasciste tournait autour du mythe et du culte du Duce qui constituèrent certainement la manifestation la plus spectaculaire et la plus populaire du culte du faisceau du licteur.” (Emilio Gentile, La religion fasciste, p. 253)

C’est un passage d’une grande importance pour comprendre le phénomène fasciste. Il explique que la religion fasciste tournait autour de deux cultes : le culte du Duce et le culte du faisceau du licteur.

Nous traitons en ce moment du Duce et nous parlerons ensuite du faisceau. Ce sont, à mon sens, les deux mythes que va utiliser Mussolini pour sa propagande. Deux mythes très anciens qui puisent dans les profondeurs de l’histoire italienne. C’est pour cela que leur utilisation raisonna si fort dans l’âme du peuple italien.

b : Origine du terme Duce.

La première utilisation connue du mot Duce remonte à la Rome antique (b-1), puis fut utilisée par les républiques de Venise et de Gênes (b-2) avant de revenir sur le devant de la scène au moment du Risorgimento (b-3).

b-1 : La Rome antique.

Duce vient du latin “dux” qui signifie “conducteur”, “guide” avec un sens politique. Il donnera en français le mot “duc”, c’est-à-dire la personne qui dirige le duché, comme par exemple le duché de Bourgogne ou le duché de Bretagne. Un Français comme moi, né en Bourgogne, comprend parfaitement l’immense prestige qui est associé au titre de duc de Bourgogne. Il faut imaginer que c’est la même chose avec le terme “duce” en Italie.

A l’origine, le “dux” était un commandement militaire qui était attribué à une personne ayant réalisé des actes glorieux. C’était un titre honorifique très prestigieux. Un prestige qui va traverser les siècles.

Lors d’un grand rassemblement de militants fascistes aux arènes de Vérone, on utilisa l’inscription “dux” comme le font les supporters de football. Un tifo avant l’heure. Cela montre la filiation voulue du terme “duce” avec son équivalent latin “dux”.

Réunion des fascistes aux arènes de Vérone.
b-2 : Les républiques de Venise et Gênes.

Le terme “dux” va être repris par deux républiques italiennes sous la forme du “doge”.

Il y aura deux doges en Italie : à Venise et à Gênes.

A Venise, il y avait d’abord un “dux” au sens antique du terme qui dirigeait la région. Puis, en 697, le “dux” va devenir un “doge”. Il sera élu par un Grand Conseil. Il y Les élections vont être tempérées par l’organisation de tirages au sort afin d’éviter la fraude.

Déjà, le concept de fraude était présent à Venise, alors que l’inénarrable Lucien Cerise ne veut pas la voir en France au XXIe siècle.

Un travail intéressant serait de regarder les solutions proposées par Venise afin de lutter contre la fraude, au lieu de ne pas vouloir la voir et donc la laisser perdurer. D’ailleurs, il y a derrière cet aveuglement de ne pas voir la fraude, une certaine complicité coupable qui permet à une certaine élite (dont fait partie Lucien Cerise) de se maintenir en place par des moyens illégaux. Une fraude qu’utilisera sans limite Benito Mussolini.

L’étude historique de la République de Venise est très intéressante, car elle dura mille cent ans et rencontrera tous les défauts que connaît notre république et proposa un certain nombre de solutions qu’évite soigneusement de mettre en œuvre notre système politique (interdiction de la succession de père en fils, interdiction du mariage du doge avec une étrangère ou interdiction d’exercer des activités commerciales).

Lodovico Manin, 120e et dernier doge de la République de Venise.

Prenant modèle sur Venise, au XIVe siècle, va se créer une autre république à Gênes avec l’élection d’un doge. Si le doge vénitien était élu à vie, celui de Gênes le sera tous les deux ans. Le processus électoral utilisait alternativement l’élection et le tirage au sort afin d’éviter la fraude. Au départ, de 1339 jusqu’en 1528, le Doge de Gênes était élu à vie parmi le peuple (popolo), A partir de 1528, le doge sera choisi tous les deux ans parmi la noblesse (environ 800 membres). Cela marque le passage d’un régime démocratique à un régime oligarchique si l’on reprend la seule distinction valable des régimes politique, celle de l’Antiquité gréco-romaine.

Représentation possible du premier doge, Simone Boccanegra, au Palazzo San Giorgio à Gênes

Le titre de “doge” à Venise comme à Gênes sera en usage jusqu’en 1797. La campagne d’Italie de Napoléon va provoquer la disparition des républiques italiennes. Les deux doges vont démissionner au profit d’une unification du Nord de l’Italie sous la houlette de la France.

b-3 : Le Risorgimento.

A la fin du XIXe siècle, le mot “doge” va revenir sur le devant de la scène politique italienne au profit du Risorgimento. Le chef militaire de la lutte militaire pour l’unification de l’Italie va se voir attribuer le titre de “duce” pour asseoir son autorité auprès de la population. Cela était censé évoquer les “dux ” de Rome ou les doges vénéto-génois selon un processus psychologique que j’ai expliqué dans l’article précédent.

Le premier à recevoir ce titre fut Giuseppe Garibaldi (1807-1882). Il va mener trois campagnes militaires pour l’indépendance et l’unification de l’Italie. Il y aura la première campagne, de 1848-1849 qui échouera à instaurer une république à Rome. La deuxième campagne, de 1859-1860 dont le fait le plus marquant est l’expédition des Mille en Sicile. Elle permettra la proclamation du Royaume d’Italie autour de Victor-Emmanuel II, le 17 mars 1861. La troisième campagne de 1866 qui permet d’intégrer la Vénétie au Royaume d’Italie. En 1870-1871, il y aura la prise de Rome et le repli du pape dans un quartier de la ville qu’il occupe encore de nos jours. Pour cela, Garibaldi sera désigné “duce”. Il a mené de manière victorieuse plusieurs guerres qui ont mené à l’indépendance de l’Italie vis-à-vis de l’Autriche et de la papauté et à l’unification de la péninsule.

Photo de Giuseppe Garibaldi, 1866.

Ensuite, nous avons le roi Victor-Emmanuel III (1869-1947) qui prendra le titre de “duce” lors de la Première Guerre mondiale. L’Italie entre dans le conflit, en mai 1915, contre l’Autriche-Hongrie afin de récupérer les terres irrédentes. Les terres irrédentes concernaient les territoires en dehors de l’Italie où vivaient des populations italophones, comme le Trente, Trieste, l’Istrie ou la Dalmatie, à l’époque en Autriche-Hongrie. Le roi-soldat était alors appelle, le “duce suprême “, car il était le commandant suprême des armées. Il ne gardera pas ce titre après la fin du conflit.

Victor-Emmanuel III en uniforme, le “roi-soldat.

c : Combat d’Annunzio- Mussolini pour devenir le seul “duce”.

En lisant le livre “la religion fasciste” d’Emilio Gentile, on découvre qu’eu lieu une intense guerre entre Mussolini et d’Annuzio pour savoir qui serait le seul et unique “duce” en Italie. Les deux hommes avaient compris l’importance symbolique du mot sur la population italienne afin d’obtenir leur soutien.

Ce nouveau mythe continua d’accompagner Mussolini dans l’après-guerre, mais sa force d’attraction se limite au milieu des anciens combattants tels que les arditi, les futuristes et les rescapés de l’interventionnisme en compagnie desquels Mussolini donna vie au mouvement fasciste. La naissance du culte du Duce ne fut pas contemporaine de la naissance et du développement du fascisme, même si le nom de Duce, qui était déjà utilisé pour appeler Mussolini au cours de la période socialiste, lui était attribué par les fascistes selon une tradition langagière caractéristique de la gauche italienne. Pour la majorité des premiers fascistes, au moins jusqu’en 1921, le Duce, c’est-à-dire le chef charismatique de la “révolution italienne”, n’était pas Mussolini, mais d’Annunzio,, vers qui les différents mouvements du nationalisme révolutionnaire se tournèrent, en particulier au cours des événements de Fiume.” (Emilio Gentile, la religion fasciste, p. 256)

b-1 : Gabriele D’Annunzio et la régence de Carnaro à Fiume (1919-1920).

Gabriele d’Annunzio (1863-1938) participa activement à la Première Guerre mondiale. Il est considéré comme un héros de guerre lorsqu’il parvient à prendre la ville de Riejka (Fiume en italien) à l’Autriche, en 1919, offrant la cité à l’Italie. C’est une crise très importante et un événement décisif dans l’histoire de l’Italie. Elle marquera tous les esprits et servira de modèle pour le futur mouvement fasciste.

Photo de Gabriele d’Annuzio, 1900.

Fiume est une terre irrédente. L’armistice ayant été signé en novembre 1918, le gouvernement italien doit refuser l’annexion. Cela va provoquer de vives tensions entre d’Annunzio et de l’Etat italien. Il va désobéir et proclamer le territoire comme ville libre. C’est la régence italienne de Carnaro.

L’épisode est l’occasion de voir se mettre en place le modèle de propagande qui servira à Benito Mussolini trois ans plus tard.

Par exemple, la manière dont il va marcher sur Fiume avec son armée et la militarisation de son mouvement :

Le 12 septembre, il quitte Ronchin pour la cité adriatique à la tête des grenadiers de Sardaigne, auxquels se joignent en cours de route des groupes d’arditi et quelques unités isolées. Le même jour, il fait son entrée dans la ville au son des cloches et des sirènes, prend possession de Fiume au nom du royaume d’Italie après avoir prononcé un discours enflammé du balcon du palais du gouvernement.” (Pierre Milza, Mussolini, p. 244).

C’est ce qui servira ensuite de modèle à la marche sur Rome. Pour l’instant, d’Annunzio marche sur Fiume en uniforme, entouré de soldats eux-mêmes en uniforme. Il fait une entrée triomphale à Fiume, comme Mussolini entrera triomphalement à Rome. Il y aura les discours enflammés. Benito Mussolini étudiera en détail le processus mis en œuvre par Gabriele d’Annunzio et le reproduira le moment venu.

Quelques jours plus tard, devant l’opposition qui commence à se manifester au sein du Conseil national, il décide son renouvellement et contitue une “liste d’Unité nationale” favorable à l’annexion de Fiume à l’Italie. Ce plébiscite, effectué dans une ville en état de siège avec la peine de mort pour qui manifeste son opposition, préfigure les futures consultations populaires du fascisme. Il donne les résultats que l’on peut attendre, sur 10 000 électeurs inscrits, il y a 7 000 votants et 6 999 voix pour la liste d’Unité nationale.” (Pierre Milza, Mussolini, p. 245-246)

Après la marche militaire pour forcer le pouvoir politique à céder, il faut faire valider le coup de force par un plébiscite. Un grand classique du fascisme que l’on retrouvera en Italie et en Allemagne. Petit détail étonnant, personne ne s’intéresse à ce qui est arrivé au courageux électeur qui n’a pas voté pour la liste dannunzienne.

Le 30 septembre, le nouveau conseil vote l’annexion de la ville à l’Italie et confirme le comandante dans ses fonctions de dictateur. Tout cela dans une ambiance d’exaltation qui annonce la montée du fascisme. Fiume devient le rendez-vous des nationalistes les plus ardents, de déclassés, en quête d’aventure, d’étudiants nourris des poèmes épiques du comandante. Elevé au statut de grand-prêtre d’une sorte de rite nationaliste, celui-ci s’adresse quotidiennement à ses fidèles, en longs dialogues scandés. A qui Fiume ? A “noi” ! (à nous !) A qui l’avenir ? A “noi” ! Et les arditi en chemise noire lancent dans la ville le cri de guerre qui va devenir celui des fascistes : “A noi ! Eia, Atalà”. (Pierre Milza, Mussolini, p. 246)

Avec Pierre Milza on apprend que déjà à Fiume la symbolique de la chemise noire était là, que le cri de guerre du fascisme a pris naissance à Fiume.

Remarquable de voir comment l’expérience de Fiume qui dura quelques mois a servi de laboratoire politique et de rodage de la propagande fasciste. C’est aussi ce qui explique que trois ans plus tard, la marche sur Rome sera si parfaitement mise en œuvre. A Fiume, d’Annunzio a eu le temps de tester ce qui fonctionnait et corriger les erreurs. Mécanisme que reprendra avec succès a Mussolini en 1922.

Finalement, l’aventure de Fiume se terminera de manière tragi-comique par la fuite de Gabriele d’Annunzio en décembre 1920. Voici ce que dit Pierre Milza en conclusion de l’événement.

L’armistice est signé le 31 et une autorité provisoire est mise en place tandis que les légionnaires commencent à évacuer la ville. La plupart vont d’ailleurs trouver dans le fascisme une structure toute prête a les accueillir et à tirer parti de leurs espoirs déçus. Mussolini, qui jusqu’au dernier moment a proclamé sa solidarité avec la rébellion, mais qui a tout fait pour saboter et qui se réjouit intérieurement de son échec, est bien résolu à exploiter pour son propre compte les leçons de l’aventure fiumaise.

Car au-delà de son caractère anecdotique, théâtral et en fin de compte dérisoire, l’affaire de Fiume est riche d’enseignements pour celui qui aspire à exploiter la situation dans laquelle se trouve l’Italie de 1920.

(…)

Cet échec des nationalistes, Mussolini va en tirer la leçon. De l’équipée humaine, il ne retiendra pas seulement le rituel dannunzien, les longs dialogues avec la foule, l’uniforme couleur mort emprunté aux arditi, le cri de guerre de l’escadrille du comandante – Eia ! eia ! eia ! alalà !” – qui va devenir celui du fascisme, mais encore, et surtout des leçons politiques : la faiblesse de l’Etat et les complicités que l’on peut rencontrer auprès de ses représentants, l’attraction exercée sur les masses par une formule politique sachant marier sentiment national et revendications sociales, la nécessité de disposer d’une organisation politique structurée et disciplinée. l’échec de Fiume, on le voit, laisse le champ libre à cette forme nouvelle du nationalisme, adaptée aux conditions de l’Italie de l’après-guerre, qu’est le fascisme.” (Pierre Milza, Mussolini, p. 259-260).

L’échec va favoriser les plans de Benito Mussolini. Gabriele d’Annunzio est son rival. Pierre Milza le qualifie de “comandante”, mais il est surnommé par ses soutiens de “duce”, ce qui provoque une vive concurrence entre les deux hommes. La chute de Fiume ne va pas éteindre cette rivalité. Il faudra attendre le congrès de 1921 pour voir venir le triomphe complet de Mussolini.

b-2 : Le triomphe de Benito Mussolini au congrès de Rome (1921).

Le mouvement fasciste va se développer dans les grandes villes, mais également en campagne, ce qui ne va pas sans poser des problèmes à Mussolini. Avec l’augmentation du nombre de squadristes et la montée de petits chefs locaux (les ras), la direction fasciste de Milan dirigée par Mussolini va être de plus en plus contestée. A ce moment-là, Gabriele d’Annunzio vivait en retrait dans la ville de Gardone sur les rives du lac de Garde.

Un article de juin 1921 va mettre le feu aux poudres :

Le discours programme que Mussolini avait prononcé à Montecitorio, le 21 juin provoqua une vive réaction parmi les dirigeants du fascisme agraire. Quatre jours plus tard, l’Assalto, qui exprimait l’opinion du squadrisme de la région Padane, publiait en pleine page un article clairement destiné a le mettre en garde contre une éventuelle parlementarisation du mouvement. Le titre était sans équivoque : “Fasciste d’Italie, la lumière vient de Garde” où d’Annunzio avait fait retraite après l’évacuation de Fiume par ses légionnaires. En se plaçant symboliquement sous la bannière du comandante, en appelant à “l’Italie de Gabriele d’Annunzio” contre “l’Italie de Giolitti”, “à l’Italie de la victoire” contre celle “de la corruption, de la démagogie, du renoncement“. (Pierre Milza, Mussolini, p. 284)

Puis, c’est l’organisation d’un immense meeting du fascisme agraire à Bologne qui va marquer le début de l’affrontement entre Mussolini et d’Annunzio.

A la tête de la révolte, se trouvaient Dino Grandi et Italo Balbo, ras respectivement de Bologne et de Ferrare. Le 16 août, le premier, organisa à Bologne un vaste rassemblement des fasci d’Emilie-Romagne et de Vénétie : 544 groupes répondirent à l’appel dans une ville en ébullition où l’on faisait la chasse aux “subversifs” et où affiches et chansons dénonçaient la trahison de l’état-major milanais. A Mussolini qui lui avait reproché quelques jours plus tôt d’ignorer, “la préhistoire du fascisme”, Grandi répondit que le fascisme n’était pas né à Milan en mars 1919, mais à Ronci, la nuit où d’Annunzio avait décidé de marcher sur Fiume. C’est d’ailleurs le nom du comandante qu’il fit acclamer par la masse des chemises noires en réponse à sa proposition d’offrir à ce dernier la conduite du mouvement. En vain.” (Pierre Milza, Mussolini, p. 287)

Gabriele d’Annunzio décide de rester silencieux face aux avances du fascisme agrairien. Mussolini profite de ses hésitations pour unifier le mouvement fasciste autour de sa personne. Il va créer un nouveau parti politique, le Parti National Fasciste (PNF) lors d’un congrès à Rome en septembre 1921. Le Parti est dirigé par Benito Mussolini qui s’impose comme le seul et unique “duce”. Le nouveau parti dispose de députés, élus en 1920 et de nombreuses milices armées, les faisceaux, dont nous parlerons juste après.

Quelques mois plus tard, il prendra le pouvoir. C’est une bataille décisive qui s’est jouée autour de l’appropriation du terme “duce” qui annoncèrent par la suite de nombreuses victoires politiques grâce à un savant travail de propagande.

2. Le faisceau des licteurs.

Le deuxième mythe politique que va emprunter Benito Mussolini est celui du faisceau des licteurs.

Dans son livre “Doctrine du fascisme“, Mussolini ne dit rien sur l’origine historique du terme fascisme. Il en est de même du discours que prononça le “duce” à l’occasion de l’assassinat d’Andreotti. Je l’ai cité dans son intégralité lors de mon article sur la manipulation mentale par le conditionnement. C’est selon moi la meilleure présentation politique de la pensée du fascisme. Bien supérieure à la doctrine du fascisme.

Il ne dit rien, car pour tous les Italiens, les origines du mot sont une évidence. Une évidence n’a jamais besoin d’être verbalisée, elle va de soi, elle est comprise de tout le monde. C’est un mythe qui est vivant dans la mémoire de tout le monde, du plus modeste au plus cultivé. Mais le fascisme dépassa les frontières de l’Italie. Il convient de dire et d’expliquer l’origine du terme et à quoi renvoie le mythe.

Le fascisme, c’est la matraque et l’huile de ricin, disait Benito Mussolini lors du discours lors de l’assassinat d’Andreotti. Mais pas seulement. Cela renvoie également à toute une histoire qui remonte à la Rome antique. Il faut lire le livre d’Emilio gentile, “la religion fasciste“, pour découvrir les racines antiques du fascisme. Il ne cesse d’évoquer le faisceau des licteurs qui renvoi nécessairement à l’antiquité romaine (a). qui ressurgira au XIXe siècle à travers les fasci (b).

a : Le faisceau des licteurs sous la Rome antique.

J’ai analysé dans le détail le faisceau des licteurs dans mon livre “la pensée politique pour les complotistes : l’Antiquité gréco-romaine“.

a-1. La royauté latine.

Le faisceau des licteurs remonte à l’antique monarchie romaine.

Les rois de Rome disposaient de trois fonctions :

  • Une fonction religieuse.
  • Une fonction militaire.
  • Une fonction judiciaire.

Ces trois fonctions ne sont pas si éloignées que cela de notre conception moderne du pouvoir politique.

La fonction religieuse concerne la manière dont le roi devient le chef de la cité. Le roi détient son pouvoir d’une investiture divine, qui lui confère un charisme, une dimension exceptionnelle. Le souverain entre en rapport avec les forces supérieures de l’univers. Il est l’intermédiaire entre les dieux et les hommes. A l’inverse dans les démocraties modernes, la légitimité vient du peuple qui élit son chef. Dans un cas, la légitimité vient d’en haut, de Dieu, dans l’autre, elle vient du peuple, donc d’en bas.

Dans le cadre de cette fonction religieuse, le roi a la propriété de féconder la terre et de permettre aux récoltes d’être abondantes. Il rend la terre fertile. Dans le monde moderne, on considère qu’un bon chef de l’Etat donne de la richesse à son peuple et, à l’inverse, un mauvais chef de l’Etat apportera de la pauvreté.

Le roi a le monopole de l’interprétation des signes religieux à travers les augures ou les auspices. En cela, il décrypte les signes envoyés par les dieux aux hommes.

La fonction militaire fait du roi un chef militaire qui doit être victorieux des batailles. Par son commandement militaire, il apporte de la protection à sa population. C’est dans le cadre de cette fonction qu’intervient la notion de “dux” dont nous avons parlé, qui donna ensuite naissance au terme “duce”. L’utilisation du mot “duce” pour qualifier Mussolini renvoie de manière évidente à la fonction militaire dont il entend se prévaloir vis-à-vis de ses citoyens.

La fonction judiciaire renvoie au roi justicier, au roi juste, au roi qui protège son peuple. Il ne faut pas entendre le terme judiciaire uniquement à l’idée de procès, mais de manière plus large à l’administration de la cité. C’est une fonction politique fondamentale. Elle est rendue visible auprès du peuple par un certain nombre de symboles. A Rome, ce symbole censé rendre visible la fonction judiciaire était le faisceau des licteurs.

Le faisceau était un fagot de branches ligaturé et surmonté d’une hache.

Le faisceau était porté par les licteurs.

C’est l’association des deux qui constitue le faisceau des licteurs. Un licteur qui porte un faisceau. Un homme qui était accompagné du faisceau des licteurs indiquait au peuple qu’il disposait du pouvoir judiciaire.

a-2. La royauté étrusque.

La royauté étrusque correspond aux trois derniers rois de Rome : Tarquin l’Ancien, Servius Tullius et Tarquin le Superbe. Ils étaient d’origine étrusque. Alors que les quatre premiers rois étaient nés de l’union des Latins et des Sabins suite à l’épisode de l’enlèvement des Sabines.

Les Étrusques vont amener avec eux la très importante notion politique de l’imperium. L’imperium est la puissance de commandement civil et militaire. Le faisceau des licteurs ne va plus être associé au pouvoir judiciaire, mais à l’imperium.

C’est une évolution majeure des institutions romaines dont les Étrusques sont à l’origine. Cette notion sera reprise par tous les régimes politiques romains, et même par la papauté du Moyen-âge.

a-3. La république romaine.

Le faisceau des licteurs va être transféré du roi aux magistrats de la République romaine. Il y a une véritable continuité sur ce point à travers l’histoire politique de Rome. Le roi disposait de vingt-quatre licteurs, mais la république va diviser le pouvoir de décision en l’attribuant à deux consuls. Les consuls ont été élus à partir du Ve siècle par les comices, c’est-à-dire l’assemblée des citoyens de Rome. Leurs noms sont proposés par les prédécesseurs, c’est donc une sorte de cooptation. Ce sont les consuls qui disposent de l’imperium qui se divise en deux groupes, c’est-à-dire douze licteurs par consul.

  • Consul : 12 licteurs.
  • Consul : 12 licteurs.

Le dictateur, “dictator“, en latin, est une forme de magistrature particulière. Elle est exceptionnelle et mise en œuvre lorsqu’il y a un danger majeur pour la cité. A ce moment-là, les règles normales garantissant la protection des citoyens et le fonctionnement des institutions peuvent être mises en veilleuse ou même interrompues. C’est un magistrat unique. Il est désigné par les deux consuls en exercice après consultation du Sénat. Le dictateur est obligatoirement choisi parmi les anciens consuls. Il est désigné de nuit, car on ne peut pas prendre les auspices au moment du choix. Il entre en fonctions avec le vote de la lex curiata par les comices curiates pour une durée de six moisz. Le dictateur va alors réunir sur sa personne les vingt-quatre licteurs.

  • Dictateur : 24 licteurs.
Les magistrats sous la République romaine.

b : Les fasci.

Lorsque Benito Mussolini décide de créer le mouvement fascio à Milan, celui-ci renvoie également à tout un imaginaire de gauche qu’évoque Pierre Milza dans sa biographie sur le “duce”.

A l’issue de cette réunion préparatoire est fondé le fascio milanese di combatimento (faisceau milanais de combat) dont le bureau comprend, outre Mussolini et Ferruccio Vecchi, plusieurs syndicalistes révolutionnaires dont Michele Bianchi dirigeant de l’UIL. Le terme fascio (faisceau) est à lui seul tout un programme. Il évoque en effet à la fois l’unité de la nation, l’autorité nécessaire à son épanouissement, la solidarité des membres du corps social, ainsi qu’une tradition révolutionnaire et spontanéiste ui va des faisceaux des travailleurs siciliens de 1893-1894 aux faisceaux d’action révolutionnaire des interventionnistes de gauche. Retenons qu’à cette date, le mot fascio – qui est un peu l’équivalent du terme français “ligue” et a suivi la même évolution – appartient encore au vocabulaire de la gauche, bien que depuis 1917, les nationalistes s’en soient emparé (il y a eu après Caporetto , constitution d’un faisceau parlementaire de défense nationale et, à la même date, Marinetto a fondé un faisceau politique futuriste).” (Pierre Milza, Mussolini, p. 236-237)

Fascio, au singulier, fasci au pluriel, l’expression renvoie au vocabulaire de l’extrême gauche, nous dit Pierre Milza. Finalement, comme “duce”. Et pourtant, on nous explique à longueur de journée que le fascisme est d’extrême droite, alors qu’en vérité tout chez lui vient de l’extrême gauche. C’est un incroyable retournement sémantique auquel nous assistons. C’est le signe, soit d’un exceptionnel manque de culture politique ou de la mauvaise foi. Tout le côté de l’échiquier politique qui se revendique de Mussolini ou d’Hitler est faussement rattaché à l’extrême droite. Ils sont souvent associés soit au marxisme, soit au libéralisme, deux traditions politiques liées à la gauche. Avant l’affaire Dreyfus , qui fut un véritable tournant politique, la droite renvoyait au catholicisme et au royalisme, alors que la gauche était républicaine et libérale. Lorsque j’étais étudiant en droit, on nous parlait du sinistrisme, c’est-à-dire de l’ensemble de l’échiquier politique qui avait tendance à reprendre les idées de gauche. C’est une réalité, si on prend la peine de connaître l’histoire politique de la France. Ce que l’on appelle improprement l’extrême droite est en réalité l’aile droite d’un grand parti unique de gauche. Mais elle a beau être l’aile droite du Parti de gauche, elle reste de gauche.

Vous noterez avec moi que la naissance du fascisme italien va voir la disparition du symbole du licteur. La gauche ne va garder que le faisceau, c’est-à-dire, la hache entourée de fageaux de bois.

a-1. La révolte des faisceaux siciliens (1889-1894).

A partir de 1889, une révolte paysanne en Sicile va prendre la forme d’un faisceau, c’est-à-dire d’une ligue militaire ayant un objectif politique. C’est le faisceau sicilien des travailleurs. Il va exploiter la misère des classes populaires en Sicile dans un objectif politique. Elle provoquera des grèves et des émeutes afin d’obtenir l’acceptation de leurs revendications sociales. La révolte atteindra son sommet en 1893, puis sera vaincue en 1894.

Représentation populaire de la répression contre les Fasci Siciliani (Il movimento dei fasci siciliani dei lavoratori, 1955, par Onofrio et Minico Ducato)[1]

Les propriétaires des champs et des mines vont demander l’intervention du pouvoir central. Le président du conseil va proclamer l’état d’urgence en Sicile et dissoudre les faisceaux des travailleurs siciliens. Il fera arrêter les dirigeants.

Les têtes des Fasci Siciliani dans la cage de la salle d’audience lors du procès d’avril 1894
a-2. Les faisceaux d’action révolutionnaire (1914).

Benito Mussolini va participer au mouvement politique qui souhaite l’intervention de l’Italie aux côtés des Alliés dans la Première Guerre mondiale. C’est le mouvement interventionniste. En 1914, les forces de gauche interventionnistes vont créer les Faisceaux d’action révolutionnaire.

C’est ainsi qu’il participa, en décembre 1914, à la fondation des Faisceaux d’Action Révolutionnaire, nés du Faisceau révolutionnaire d’action internationale, et qui, en quelques semaines, allaient connaître un réel succès. Lorsque ces Fasci – des mouvements peu structurés, mais très actifs, dans lesquels les syndicalistes révolutionnaires et Mussolini lui-même voyaient ce que pourraient être les “noyaux de la future société socialiste” – tinrent leur premier congrès à Milan les 24 et 25 janvier 1915.(Pierre Milza, Mussolini, p. 189).

Les faisceaux d’action vont obtenir gain de cause en voyant l’entrée en guerre de l’Italie contre l’Autriche-Hongrie le 23 mai 1915.

a-3. Le Parti National Fasciste (1919-1921).

Les faisceaux d’Action Révolutionnaire vont être repris par Benito Mussolini après la guerre pour créer les Faisceaux italiens de combat. C’est lui qui va donner son nom au fascisme.

Le 7 janvier 1919, le futuriste Mario Carli va créer à Rome une association d’arditi, c’est-à-dire d’anciens combattants. Elle sera suivie d’autres associations dans les jours suivants. Elles seront une soixantaine lorsque Benito Mussolini décide de se réunir à Milan, le 21 mars 1919, pour créer le faisceau milanais de combat. Toutes ces associations porteront le nom de faisceau italien de combat après une réunion organisée à Milan le 23 mars 1919.

C’est cette structure associative qui va donner naissance au Parti National Fasciste, le 9 novembre 1921.

Au niveau symbolique, Mussolini ne va reprendre du faisceau que l’image de la hache entourée de morceaux de bois.

Il faut également signaler que la République française va reprendre le symbole du faisceau. Nous trouvons tous cette image sur la couverture de notre passeport (pour mes lecteurs français).

En revanche, le régime de Vichy n’utilisa pas le faisceau romain, mais la francisque des Germains. Ils se ressemblent, mais sont différents. Ne surtout pas les confondre. Pétain entendait reprendre la tradition des Francs, liée à la monarchie, par opposition aux Gaulois, mis au pinacle par les révolutionnaires de 1789.

Si Staline a voulu asseoir son autorité sur la religion orthodoxe, Benito Mussolini n’a pas voulu utiliser de référence religieuse pour légitimer son autorité. En effet, le fascisme est essentiellement une idéologie néo-païenne qui veut lutter contre l’Eglise catholique. Il n’utilisera pas le terme “auguste” comme titre politique, mais “duce” qui renvoi à une fonction de chef militaire.

C. La propagande allemande (1933-1945).

Terminons cette longue analyse historique de l’utilisation des mythes politiques par l’Allemagne nazie. Comme nous l’avons déjà vu dans l’article sur le conditionnement, Adolf Hitler va largement s’inspirer de Lénine et de Benito Mussolini. Je ne répéterai pas ce que j’ai déjà dit ailleurs. A vous d’aller lire mon travail précédent. Intéressons-nous plus spécifiquement au mythe du sauveur que tenta de jouer Hitler en décidant d’incarner le rôle du Führer (1), de la même manière que Mussolini incarna celui du “duce”. Un mythe du sauveur qui sera brillamment mis en scène par de la propagande (2).

1. Le “führer“.

Le culte de la personnalité dans le parti nazi va tourner autour de la très importante notion de “führer”. C’est la même chose que pour le “duce” que nous venons de voir. Il y a derrière ce simple mot, toute un imaginaire allemand qui va parler au petit peuple et que va exploiter Adolf Hitler à son profit. Jamais cette idée n’est expliquée en France, soit par manque de culture politique, soit par complicité plus ou moins implicite. Car souvent nos hommes politiques utilisent la même technique de propagande à leur profit. Je ne soulignerais jamais assez la continuité historique entre le fascisme italien, le nazisme allemand et la propagande politique occidentale. Vous comprendrez au fur et à mesure de mes explications, pourquoi je dis cela.

Mais c’est précisément dans les masses allemandes que le sens de l’organisation, et partant le besoin d’être guidé, qui dégénère souvent en une soumission sans bornes, en une adoration des personnalités, des leaders, s’affirme irrésistiblement et devient le facteur dominant du comportement des masses. (…) Le culte du héros est répandu sur une vaste échelle et trouve une oreille accueillante même dans les masses ouvrières.(Serge Tchakhotine, Le viol des foules par la propagande, p. 326).

En Allemagne, le peuple aime être dirigé d’une main de maître par un chef. C’est une tendance que l’on retrouve y compris dans les mouvements socialistes. Hitler parlera du “führerpinzip“, c’est-à-dire le principe du chef, qui sera la base de son pouvoir et de sa propagande. Il est impossible de comprendre le nazisme sans comprendre le “führerprinzip” (a). C’est ce que nous allons tenter de faire. Avec le “führer” comme chef, il est possible de mettre en place, par la propagande, le culte du chef (b). Cette propagande va jouer sur le mythe politique du chef dans sa version allemande.

a : Le “Führerprinzip“.

Adolf Hitler, dans “meine kampf” évoque le “führerprinzip” dans le chapitre IV du deuxième volume sur “la personnalité et la conception raciste de l’Etat“. C’est d’ailleurs l’un des chapitres du livre le plus importants à lire, puisqu’il explique dans le détail sa conception politique du futur État nazi. Nous verrons dans le détail ce chapitre, duquel je citerai de nombreux passages pour illustrer mon propos, jusqu’à la fin de l’article.

a-1. Origine du concept de “führerprinzip“.

Au sujet des origines du principe du chef, Adolf Hitler évoque l’organisation de l’armée prussienne.

Il faut transposer le principe qui fit autrefois de l’armée prussienne le plus admirable instrument du peuple allemand et l’établir à la base même de notre système politique : la pleine autorité de chaque chef sur ses subordonnés et sa responsabilité entière envers ses supérieurs.” (Adolf Hitler, Meine kamps 2, chapitre IV)

L’organisation de l’armée prussienne renvoie de manière évidente à Frédéric II le Grand (1740-1786) qui fut le premier roi de Prusse. Il fut ami personnel de Voltaire et dirigea son royaume selon les principes du despotisme éclairé. Il y a donc une réelle influence de la pensée politique française et en particulier de la philosophie des “Lumières” dans l’idée de “führerprinzip“. Nous le verrons, il s’agit de court-circuiter le peuple et de diriger le pays à sa place. C’est l’idée sous-jacente. Le peuple est un ramassis d’incompétents et d’incapables, alors que l’élite est intelligente et compétente.

Par exemple, on retrouve cette idée dans la vie politique française depuis 1974 et l’arrivée au pouvoir de Valéry Giscard d’Estaing. On nous a présenté le Premier ministre, Raymond Barre comme le meilleur économiste de France. Il y eut Alain Juppé, qui fut présenté comme le meilleur d’entre nous et qui fut Premier ministre de 1995 à 1997. Enfin, dernier en date, Emmanuel Macron, présenté par la classe politique et médiatique unanime, comme le “Mozart de la finance”. Un point commun de ces trois individus, ils furent rejetés unanimement par le peuple lors d’une élection : présidentielle de 1981 pour Barre, dissolution et législatives perdues pour Juppé en 1997, dissolution et législatives perdues pour Macron en 2024. Cela montre l’anti-nomisme de cette théorie qui se construit contre le peuple. Nous-y reviendrons.

Les idées de Frédéric Ii ont été reprises par Otto von Bismarck (1871-1890) et son projet pangermaniste. Un projet pangermaniste que l’empereur d’Allemagne et roi de Prusse tentera de mettre en œuvre durant la Première Guerre mondiale. Adolf Hitler et la Deuxième Guerre mondiale concernent une deuxième tentative de projet pangermaniste. Actuellement, nous vivons la mise en œuvre d’une troisième tentative de ce funeste projet pangermaniste. Le projet politique derrière le pangermanisme, c’est la synarchie dont j’ai parlé dans un de mes livres, “la bête de l’événement“. L’organisation politique synarchiste fonctionne selon le “führerprinzip“.

Certains auteurs font remonter l’origine du “führerprinzip” aux sagas nordiques dont la lecture permet de retrouver l’idée d’un chef suprême, charismatique et visionnaire, déifié par son peuple.

a-2. Contenu du concept de “führerprinzip“.

Il nous faut étudier ce qu’est le “führerprinzip” que le traducteur français de “meine kampf” appelle “le principe de personnalité”. Une très mauvaise traduction. Il aurait dû parler de “principe du chef”, voir laisser le mot en allemand, car le terme “führer” est entré dans la langue française et est connu du grand public.

Il y a plusieurs éléments constitutifs, comme l’anti-nomisme (a-2-1), l’anti-parlementarisme (a-2-2), le rôle du chef (a-2-3), le principe hiérarchique (a-2-4).

a-2-1. L’anti-nomisme.

Le plus important à comprendre dans le principe du chef, c’est sa conception anti-nomiste de la société.

L’anti-nomisme en politique est une opposition entre l’élite et le peuple. L’élite se dispense du respect des lois divines, alors que le peuple lui est obligé de les respecter. Il y a une séparation irréconciliable entre l’élite et le peuple. Une opposition dont parle en abondance Adolf Hitler dans “Meine kampf“. L’auteur est clairement anti-nomiste. On le comprend en lisant ce passage.

Une doctrine qui, écartant l’idée démocratique de la masse, tend à donner cette terre au meilleur peuple, c’est-à-dire aux individus supérieurs, doit logiquement se conformer au même principe aristocratique à l’intérieur de ce peuple et conserver aux meilleures têtes le commandement et l’influence. Au lieu d’édifier sur l’idée de majorité, cette doctrine se fonde ainsi sur la personnalité.” (Adolf Hitler, Meine kampf 2, chapitre IV)

Hitler oppose les régimes politiques fondés sur le principe démocratique à ceux fondés sur le principe aristocratique.

Le choix des mots est assez étonnant.

Selon lui, la démocratie a pour source la masse. Il prétend s’opposer à cette conception de la politique. Nous savons pourtant qu’Adolf Hitler utilisa la masse comme outil de propagande pour prendre le pouvoir et le garder, comme je l’ai montré dans mon article sur le conditionnement.

Il oppose la démocratie à l’aristocratie, c’est-à-dire le pouvoir des meilleurs.

Là encore, nous pouvons être étonnés d’une telle qualification.

Les nazis n’étaient pas les meilleurs. Bien au contraire. S’ils ont eu l’idée d’utiliser la masse dans leur propagande, c’est par manque de talent personnel et d’intelligence. La propagande permet aux médiocres de se faire passer pour des gens compétents et charismatiques. C’est l’arme des faibles. C’est l’arme de la faiblesse. Un véritable aristocrate, qui est le meilleur, n’a pas besoin d’utiliser ce genre d’artifice. Son intelligence et sa valeur paraissent évidentes pour le peuple.

La démocratie s’accompagne toujours de la propagande. Le couple propagande et masse est indissociable. Sans masse, il n’y a pas de propagande.

Celui qui croit aujourd’hui qu’un État raciste national-socialiste ne doit guère présenter, avec les autres États, que la différence purement matérielle
d’une meilleure organisation économique, soit par un plus juste équilibre entre richesse et pauvreté, ou bien par un droit de regard plus étendu des classes inférieures dans le processus économique, ou bien par des salaires plus équitables ou mieux répartis, celui-là est le dernier des retardataires et il n’a pas la moindre idée de notre doctrine.
” (Adolf Hitler, Meine kampf 2, chapitre IV)

Hitler va justifier l’inégalité entre l’élite et le peuple. Une inégalité qui justifie une différence de salaire, la richesse des uns et la pauvreté des autres. Etre membres de l’élite justifierai un salaire plus élevé, une richesse plus importante. Il ne faut aucune loi sociale afin d’augmenter le salaire des plus modestes, aucune aide sociale, aucun soin de santé. Cela ne vous rappelle rien ? C’est le discours ultra-libéral actuel. Il reprend les idées du nazisme exprimées dans “meine kampf“.

“Tout ce que nous venons de mentionner ne présente aucun caractère de permanence ou de grandeur. Un peuple qui en demeurerait à des réformes d’un caractère aussi superficiel, n’aurait pas la moindre chance de triompher dans la mêlée universelle des peuples. Un mouvement qui ne verrait pas dans sa mission autre chose que ces réformes égalitaires, d’ailleurs équitables, ne possèderait plus puissance ni efficacité quand il s’agirait de réformer profondément un milieu. Toute son action demeurerait, en définitive, limitée à des objets superficiels ; il ne donnerait pas au peuple cette armature morale qui l’assure de triompher – je dirais presque malgré lui – des faiblesses dont nous souffrons aujourd’hui.” (Adolf Hitler, Meine kampf 2, chapitre IV)

Adolf Hitler évoque également la nécessité de réformer le pays pour lutter efficacement dans l’économie mondiale. Le mot réforme qu’utilise Hitler dans “meine kampf” est également utilisé par nos hommes politiques ultra-libéraux. Depuis Giscard, j’en entends parler. Cinquante ans que l’on nous explique que des réformes sont nécessaires. Là encore, ils reprennent le vocabulaire nazi. Les réformes dont parlent les libéraux sont censées être nécessaires pour adapter l’économie à la concurrence internationale. Il y a une continuité linguistique entre le nazisme et le néo-libéralisme moderne.

Les génies d’une trempe extraordinaire ne sont pas soumis aux mêmes règles que l’humanité courante. Toute l’organisation de l’État doit découler du principe de la personnalité, depuis la plus petite cellule que constitue la commune jusqu’au gouvernement suprême de l’ensemble du pays.” (Adolf Hitler, Meine kampf 2, chapitre IV)

Ce passage est de manière évidente anti-nomiste. Les membres de l’élite sont considérés comme des génies d’une trempe extraordinaire. Hitler dit qu’ils ne sont pas soumis aux mêmes règles que les gens ordinaires en raison de leur dimension hors normes. C’est sur ce principe que doit se fonder le “führerprinzip” que le traducteur français appelle “le principe de personnalité. Ce principe de personnalité doit s’appliquer à l’ensemble de la société, du gouvernement suprême à la plus petite cellule. C’est ce que nous allons voir.

a-2-2. L’antiparlementarisme.

L’antiparlementarisme est un autre élément essentiel qu’il faut bien comprendre.

Ainsi l’État raciste doit libérer entièrement tous les milieux dirigeants et plus particulièrement les milieux politiques du principe parlementaire de la majorité, c’est-à-dire de la décision de la masse ; il doit leur substituer sans réserve le droit de la personnalité. Il en résulte que : La meilleure constitution et la meilleure forme de l’État est celle qui assurera naturellement aux meilleurs éléments de la communauté l’importance du guide et l’influence du maître.” (Adolf Hitler, Meine kampf 2, chapitre IV)

Le principe du führer s’oppose au parlementarisme. Le parlementarisme est le règne de la majorité, la dictature de la masse, alors que le principe du chef permet aux meilleurs de diriger l’ensemble de la société. L’antiparlementarisme est un grand classique du Fascisme et du Nazisme.

La monarchie qui n’a rien à voir avec le Fascisme, n’en déplaise aux gauchistes. Elle n’est pas, non plus, d’extrême droite, elle est de droite. Le royalisme et le monarchisme sont la vraie droite traditionnelle, avec ses trois branches, selon René Raymond : légitimisme, orléanisme et bonapartisme. Elle s’oppose au “führerprinzip” et à la démocratie.

La monarchie traditionnelle intègre une certaine forme de parlementarisme. Il y avait sous l’Ancien Régime les Parlements comme le Parlement de Paris, le Parlement de Bretagne ou le Parlement de Bourgogne qui exerçaient des fonctions judiciaires et d’enregistrement des lois. Nous trouvons également les Etats généraux dont la réunion en 1789 avait provoqué la Révolution française. Il est donc malhonnête de classer les royalistes ou les monarchistes à l’extrême droite comme s’ils étaient anti-parlementaires.

C’est la démocratie représentative qui doit être condamnée. La démocratie dite représentative n’a d’ailleurs rien de démocratique, elle devrait plutôt être qualifié d’oligarchie. Elle applique d’ailleurs le principe de l’anti-nomisme.

a-2-3. Le rôle du chef.

Hitler va opposer le parlementarisme, qui est la décision de la majorité, au “führerprinzip” qui est la décision du chef.

Le peuple allemand doit s’unir autour de son chef, Adolf Hitler, pour mieux assurer sa domination sur les autres peuples et conquérir un espace à sa mesure, le “lebensraum” qui est l’espace vital.

Il n’y a pas de décisions de la majorité, mais seulement des chefs responsables et le mot « conseil » doit reprendre sa signification primitive. Chaque
homme peut bien avoir à son côté des conseillers, mais la décision est le fait d’un seul.
” (Adolf Hitler, Meine kampf 2, chapitre IV)

Un seul homme décide seul. C’est le principe du führer. On retrouve cette idée dans la célèbre formule, “Ein volk, ein Reich, ein Führer” que l’on peut traduire par “un seul peuple, un seul État, un seul chef“. C’est un slogan censé résumer la pensée du nazisme. Le slogan est une arme redoutable pour la propagande. Il est l’expression même du “führerprinzip“. Un slogan qui sera largement exploité par la propagande nazie comme le montre certaines affiches.

Il faut faire le parallèle avec la République française née de la Révolution française.

L’article premier de la Constitution de la Cinquième République dit que :

La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale.

Sous l’Ancien Régime, il y a de vraies différences culturelles entre les duchés, les comtés. La Bourgogne, n’est pas la Bretagne, la Flandre ou l’Artois. La République va effacer toutes les différences au sein de la France en unifiant le peuple français sous la République. C’est le même principe que l’on retrouve dans le nazisme. C’est un processus d’effacement des différences provinciales sous un principe unique et un chef unique.

Le peuple doit obéir de manière aveugle au Führer. C’est ce que l’on retrouve comme idée derrière un autre célèbre slogan du Troisième Reich : “Ein Befehl ist ein Befehl” que l’on peut traduire par “Un ordre est un ordre“. Nous avons également le slogan, “Der führer hat immer Recht” qui signifie “le führer a toujours raison“.

Wochenspruch der NSDAP du 16 février 1941 : « Le Führer a toujours raison ».

Dans le texte de la Constitution de la Cinquième République, l’article 16 reprend ce principe :

“Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacés d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier ministre, des Présidents des Assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel.

Il en informe la Nation par un message.

Ces mesures doivent être inspirées par la volonté d’assurer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans les moindres délais, les moyens d’accomplir leur mission. Le Conseil constitutionnel est consulté à leur sujet.

Le Parlement se réunit de plein droit.

L’Assemblée nationale ne peut être dissoute pendant l’exercice des pouvoirs exceptionnels.

Après trente jours d’exercice des pouvoirs exceptionnels, le Conseil constitutionnel peut être saisi par le Président de l’Assemblée nationale, le Président du Sénat, soixante députés ou soixante sénateurs, aux fins d’examiner si les conditions énoncées au premier alinéa demeurent réunies. Il se prononce dans les délais les plus brefs par un avis public. Il procède de plein droit à cet examen et se prononce dans les mêmes conditions au terme de soixante jours d’exercice des pouvoirs exceptionnels et à tout moment au-delà de cette durée.

Les pleins pouvoirs de l’article 16, c’est la dictature de la république romaine, mais également le “führerprinzip“. Le Président prend toutes les décisions, l’administration exécute et le peuple obéit aux ordres du chef.

a-2-4. Le principe hiérarchique.

Les chefs sont organisés hiérarchiquement.

Il faut transposer le principe qui fit autrefois de l’armée prussienne le plus admirable instrument du peuple allemand et l’établir à la base même de notre système politique : la pleine autorité de chaque chef sur ses subordonnés et sa responsabilité entière envers ses supérieurs.” (Adolf Hitler, Meine kampf 2, chapitre IV)

Le chef doit obéir à aveuglément à ses supérieurs et doit être obéit avec le même aveuglement par ses subordonnés. Aucun refus n’est autorisé, aucune discussion n’est possible. Ordre hiérarchique obligatoire. C’est le fonctionnement du “führerprinzip“.

L’administration française fonctionne également sur ce principe. Le chef de service décide et les petits fonctionnaires de rang inférieur exécutent.

C’est l’obligation d’obéissance inscrite dans le statut général de la fonction publique.

Article L121-9 du Code Général de la Fonction publique : L’agent public, quel que soit son rang dans la hiérarchie, est responsable de l’exécution des tâches qui lui sont confiées.

Il n’est dégagé d’aucune des responsabilités qui lui incombent par la responsabilité propre de ses subordonnés.

Article L121-10 du Code Général de la Fonction Publique : L’agent public doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public.

Traditionnellement, le fonctionnaire pouvait refuser un ordre manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public.

Pour garantir ce droit à la désobéissance sans risque, on assurait la sécurité de l’emploi aux fonctionnaires. Il fallait que le fonctionnaire commette une faute d’une particulière gravité pour être révoqué.

Mais cela a changé depuis la fin des années quatre-vingt-dix et le début des années deux-mille avec l’introduction du nouveau management public (new public managment en anglais). Il y a une face cachée de ce management qu’évoque le livre de Johann Chapoutot, “Libres d’obéir: Le management, du nazisme à aujourd’hui“.

Johann Chapoutot explique que le fondateur du management moderne est un ancien juriste nazi, Reinhard Höhn (1904-2000).

Reinhard Hohn, en uniforme d’oberführer de la SS.

Reinhard Hohn s’inspirant du “führerprinzip” dont il fut l’un des théoriciens sous le Troisième Reich, il va mettre en œuvre une nouvelle organisation du management, basée sur la réalisation d’objectifs. Cela autorise le chef à utiliser tous les moyens pour obtenir la réalisation des objectifs que son supérieur lui a fixés. Cela suppose une organisation hiérarchique pour mettre en œuvre et contrôler la réalisation des objectifs.

Si un fonctionnaire n’atteint pas ses objectifs ou désobéit, il sera révoqué très facilement. Il ne peut plus désobéir à un ordre manifestement illégal. C’est le retour de la fonction publique de Vichy qui avait révoqué un grand nombre de fonctionnaires afin d’obtenir une obéissance aveugle. C’est ce qui a permis toutes les horreurs de ce funeste régime.

Ce genre de système qui fait du fonctionnaire un simple exécutant aveugle des moindres caprices de ses supérieurs abouti toujours à des catastrophes. De nos jours, la mise en place de cette nouvelle fonction publique, nous l’avons vu, a permis une féroce répression des gilets jaunes ou la mise en place de la dictature sanitaire.

Avant, cela aurait été presque impossible. Désormais, grâce au management né de l’esprit de Reinhard Höhn, cela fut imposé par le pouvoir sans aucune résistance de l’administration. C’est terriblement inquiétant. Je sais de quoi je parle, puisque j’ai été élève de l’IRA de Lille où l’on m’a appris le nouveau management public. J’ai ensuite été révoqué pour avoir osé écrire un livre sur Nostradamus. C’est un sujet que je connais très bien. j’ai vu venir ces dérives. Tout le processus que décrit admirablement Hannah Arendt dans son livre sur “le procès Eichmann“. Aujourd’hui, il y a plein de petits Eichmann dans l’administration française.

b : Le “führer” du Parti national-socialiste des travailleurs allemand (NSDAP).

Le mot “führer” dont nous venons de faire la généalogie fut utilisé à partir des années vingt par le parti National-Socialiste des Travailleurs Allemands (NSDAP).

Je me fonderais sur les remarquables travaux de Ian Kershaw, et en particulier sur sa monumentale biographie intitulée “Hitler“.

J’aborderais également son autre livre de référence, qui entre pleinement dans le sujet de cet article, “le mythe Hitler“.

Longtemps avant l’ascension spectaculaire de Hitler, la notion de « chef héroïque » était déjà une importante composante de la pensée de la droite
nationaliste et völkisch. On peut y voir à juste titre « l’une des idées centrales du mouvement antidémocratique sous la République de Weimar » et « l’un de ses articles de foi incontournables ». Mais même après le passage momentané de Hitler à l’avant-scène pendant le putsch manqué de 1923, il fallut un temps considérable aux auteurs et politiciens völkisch qui répandaient « l’idée de Führer » pour associer couramment leurs espoirs au chef du NSDAP. L’idée et l’image d’un « Führer des Allemands » ont donc été créées longtemps avant d’être appliquées à Hitler, et elles ont coexisté pendant des années avec la montée du nazisme sans qu’il fût évident, aux yeux de ceux qui préconisaient un pouvoir « héroïque », que Hitler était le chef qu’ils attendaient.
” (Ian Kershaw, Le mythe Hitler, p. 20)

L’auteur nous explique que la création du mythe d’Hitler fut un travail de longue haleine pour associer l’idée de “chef héroïque”, donc de Führer” à celle d’Adolf Hitler, afin de l’amener au pouvoir. C’est la création d’un mythe politique par le conditionnement dont parle Ian Kershaw. C’est ce qui c’est passé avec Staline, Mussolini et maintenant Hitler. C’est ce que va nous décrire Ian Kershaw dans son remarquable livre.

Au début des années vingt, nous sommes encore loin du moment où Hitler, qui n’était encore qu’un agitateur de brasserie en province, pourrait être associé couramment à l’image du chef héroïque, et perçu par la masse du peuple comme ce grand dirigeant envoyé par la Providence pour unir l’Allemagne et lui rendre sa grandeur. Mais, en un peu plus d’une décennie, une vision qui n’était initialement prise au sérieux que par des cinglés d’extrême droite est devenue, au milieu des années trente, l’idée centrale, le maître mot de la vie politique allemande.” (Ian Kershaw, Le mythe Hitler, p. 27)

L’auteur va expliquer que le processus de création du mythe du sauveur autour d’Adolf Hitler a pris une dizaine, une quinzaine d’années. Il va distinguer plusieurs étapes : Hitler devient adhérent du NSDAP (b-1), puis en devient le “führer” (b-2), la tentative de coup d’Etat de la brasserie de Munich constitue un tournant dans l’accession au pouvoir d’Hitler (b-3) aboutissant à l’introduction du culte de la personnalité (b-4).

b-1. L’adhésion d’Hitler au NSDAP.

Au départ, il y a le DAP, un Cercle politique ouvrier créé par des membres de la société secrète Thulé. Nous sommes le 5 janvier 1919. Adolf Hitler y adhérera le 12 septembre 1919. Concernant cette adhésion, il nous faut relater une information peu connue du grand public. A ce moment-là, Hitler était un agent de renseignement de l’armée allemande spécialisé dans la propagande. Ce qui expliquera beaucoup de choses dans la suite de sa vie.

Cela est rapporté dans la monumentale biographie d’Hitler de Ian Kershaw :

Daté du 3 avril 1919, un ordre de routine du bataillon de démobilisation désigne nommément Hitler comme le représentant (Vertrauensmann) de sa compagnie. Tout laisse penser qu’il occupait ce poste depuis le 15 février. Or la mission des représentants (Vertrauensleute) était, entre autres, de coopérer avec le département de la propagande du gouvernement socialiste pour transmettre aux troupes des matériaux « éducatifs ». Autrement dit, ses premières tâches politiques, Hitler les accomplit au service du régime révolutionnaire dirigé par le SPD et l’USPD. Qu’il ait préféré par la suite garder le silence sur ses actions à cette époque n’a dès lors rien d’étonnant.” (Ian kershaw, Hitler, p. 149)

Le 11 mai 1919, sous le commandement du Generalmajor von Mohl, était créé le « Gruko », ou Bayerische Reichswehr Gruppenkommando n° 4, à partir des unités bavaroises qui avaient participé à l’écrasement de la Räterepublik. Le gouvernement bavarois étant « exilé » à Bamberg jusqu’à la fin août, Munich, dont le centre était truffé de barricades, de barbelés et de points de contrôle de l’armée, fut bel et bien soumise à un gouvernement militaire tout au long du printemps et de l’été. S’étant donné une double mission – surveiller systématiquement la scène politique et combattre par la propagande et l’endoctrinement les attitudes « dangereuses » qui prévalaient dans l’armée de transition –, le Gruko reprit en main en mai 1919 la « section de renseignements » (Nachrichtenabteilung, Abt. Ib/P) mise en place à Munich dès l’écrasement de la Räterepublik. L’« éducation » des troupes dans une ligne « correcte », antibolchevique et nationaliste, fut rapidement considérée comme une priorité. À cette fin, furent organisés des « cours d’art oratoire » pour former des « personnalités de la troupe capables », appelées à rester longtemps dans l’armée : grâce à leur force de conviction, ces agents de propagande (Propagandaleute) auraient pour tâche de contrer les idées subversives. Dès les premiers jours de juin, l’organisation d’une série de « cours antibolcheviques » fut confiée au capitaine Karl Mayr qui, peu de temps uparavant, avait reçu le commandement de la section de renseignements [59]. Mayr, qui fut l’un des « accoucheurs » de la « carrière » politique de Hitler, aurait pu certainement en revendiquer la paternité.

(…)

En 1919, à Munich, son influence au sein de la Reichswehr allait bien au-delà de son grade de capitaine, et il se vit confier des fonds considérables pour mettre sur pied une équipe d’agents ou d’informateurs, organiser un cycle de cours de pensée politique et idéologique « correcte » destinés à des officiers triés sur le volet et financer des partis, des publications et des organisations « patriotiques ». Mayr fit la connaissance de Hitler en mai 1919, après l’écrasement de l’« Armée rouge ». La participation de ce dernier aux enquêtes de son bataillon sur les actions subversives sous la Räterepublik ont pu attirer sur lui l’attention de Mayr, d’autant qu’au
printemps, on l’a vu, Hitler avait déjà fait du travail de propagande à la caserne, même si c’était au nom du gouvernement socialiste. Pour les besoins de Mayr, il avait donc les bonnes références et le potentiel idéal. La première fois qu’il rencontra Hitler, écrivit-il beaucoup plus tard, on « aurait dit un chien perdu fatigué en quête de maître […] prêt à suivre quiconque lui témoignerait quelque bonté. […] Le peuple allemand et sa destinée lui étaient alors totalement indifférents ».
” (Ian Kershaw, Hitler, p. 153)

Hitler fut alors chargé, à la demande de ses supérieurs, d’infiltrer le DAP.

Les V-Leute placés sous la houlette de Mayr avaient, entre autres tâches, celle de surveiller les cinquante partis et organisations politiques de Munich, de l’extrême droite à l’extrême gauche. C’est donc en sa qualité de V-Mann que le vendredi 12 septembre 1919 Hitler fut chargé de suivre une réunion du parti ouvrier allemand à la Sterneckerbräu de Munich.” (Ian Kershaw, Hitler, p. 157)

Pourquoi personne ne rappelle jamais qu’Hitler fut un agent de renseignement ? Un silence gêné qui s’abat sur cette information pourtant capitale. C’est un grand classique de l’extrême droite comme de l’extrême gauche. Hier comme aujourd’hui. Les liens entre les extrêmes et la police ou les services de renseignement ont toujours été fréquents et multiples.

b-2. Hitler devient le “führer” du NSDAP.

C’est lorsqu’Adolf Hitler parvient à s’imposer comme le chef du DAP, devenu ensuite le NSDAP qu’Hitler fut appelé “führer”. Il n’était pas encore le chef charismatique que nous connaissons. Un simple dirigeant d’un petit parti totalement inconnu du grand public.

Déjà en 1920-1921, Hitler était parfois appelé à l’intérieur du NSDAP le « Führer », mais il n’était encore qu’un des chefs du Parti, au côté de son président, Anton Drexler. L’usage de l’expression « notre Führer » s’est fait peu à peu plus fréquent à partir de la fin de 1921 – Hitler avait pris la direction du Parti en juillet –, essentiellement en liaison avec les discours de Hitler aux rassemblements du NSDAP, où il soulignait souvent qu’il était indispensable au Mouvement car il était son orateur le plus doué.

L’expression « notre Führer » restait à cette date synonyme du titre « Führer du NSDAP », qui semble avoir été employé publiquement pour la première fois – au lieu de l’ancien titre, plus traditionnel, de « président du NSDAP » – dans le journal du Parti, le Völkischer Beobachter, le 7 novembre 1921. Tel qu’il était utilisé en 1920-1921, donc, le terme « Führer » renvoyait uniquement et explicitement à la position dirigeante de Hitler au sein du Parti.” (Ian Kershaw, Le mythe Hitler, p. 27)

La première trace écrite de l’utilisation du terme “führer” pour qualifier Adolf Hitler remonte au 7 novembre 1921 dans un article. Il signifiait alors uniquement qu’il était le dirigeant du parti NSDAP.

Ian Kershaw observe un tournant au moment de la Marche sur Rome.

“Mais un tournant important eut lieu quand, à la suite de la « marche sur Rome » de Mussolini en octobre 1922, le sens du terme fut pour la première fois étendu, par analogie avec l’italien Duce. Dans un meeting à la Hofbräuhaus, une vaste brasserie de Munich, en novembre 1922, Hermann Esser, l’une des principales têtes pensantes du Parti, proclama que Hitler était le Mussolini de l’Allemagne ; après quoi les références à « notre Führer Adolf Hitler », sans restreindre l’expression à ses fonctions dans le Parti, se sont multipliées dans le Völkischer Beobachter, en particulier à partir du second semestre de 1923. Un article du Völkischer Beobachter de décembre 1922 semble avoir pour la première fois affirmé explicitement que Hitler était le Führer qu’attendait l’Allemagne. Son auteur parlait de la « joyeuse certitude » des partisans de Hitler, au retour d’un défilé à Munich, « d’avoir trouvé ce à quoi des millions de personnes aspirent : un chef ».

Déjà, cette année-là, un livre avait été dédicacé à Hitler « le grand homme d’action […], le dirigeant intrépide de la résurrection de l’Allemagne », bien que, avant 1930, les dédicaces à « l’Allemand debout » ou au « combattant allemand d’aujourd’hui » aient été plus courantes.

Au sein du parti nazi, donc, les débuts d’un culte de la personnalité autour de Hitler remontent à l’année d’avant le putsch, quand Hitler avait déjà acquis une certaine stature politique, au moins dans la région de Munich – un journaliste avait écrit qu’il était, « avec le Hofbräuhaus […], la seule curiosité à signaler à Munich ». Dans un discours au Circus Krone de Munich en avril 1923, Goering, à cette date commandant des SA, affirma que « plusieurs centaines de milliers de personnes » étaient déjà convaincues « qu’Adolf Hitler est le seul homme qui pourrait redresser l’Allemagne ».

Les lettres adressées à Hitler à cette époque par des cercles de droite en Bavière reflètent aussi les espoirs enthousiastes qu’on plaçait en lui : elles allaient jusqu’à le comparer à Napoléon. Les nouveaux membres du NSDAP à Memmingen, fin 1923, jurèrent fidélité « solennellement, à la vie à la mort, à Hitler », et l’ancien chant de marche de la brigade Ehrhardt du Freikorps, avec un nouveau refrain promettant fidélité « jusqu’à la mort » à Hitler qui « nous sortira bientôt de cette détresse », devint très populaire chez les nazis.

En dehors de ces petits groupes de nazis bavarois fanatisés, l’image de Hitler à l’époque – dans la mesure où l’opinion publique allemande s’était aperçue de son existence – n’était que celle d’un vulgaire démagogue capable de susciter une hostilité passionnée au gouvernement dans la populace de Munich, mais guère plus.” (Ian Kershaw, le mythe Hitler, p. 28)

En 1922, le mot “führer va subir une transformation. Auparavant, il était utilisé pour désigner Adolf Hitler comme le chef du parti NSDAP. A partir de 1922, le terme “führer” va signifier qu’il est le sauveur attendu par le peuple allemand, sur le modèle de Benito Mussolini en Italie. Mussolini est le “duce”, par mimétisme, Hitler sera le “führer”. C’est l’année où les fascistes ont pris le pouvoir en Italie. Il s’agit donc de copier un modèle de propagande qui a fonctionné afin d’atteindre un résultat équivalent.

En dépit des attentes et espérances exagérées de certains de ses partisans, l’idée que Hitler se faisait de lui à l’époque ne s’écartait pas beaucoup de celle de nombreux observateurs extérieurs. Il admettait que son rôle était de « battre le rappel », que sa mission consistait à ouvrir la voie au véritable grand chef qui allait suivre et sortir l’Allemagne de son malheur. « Sa conscience de soi, a-t-on écrit, n’a pas changé sur le principe du début de sa carrière politique au jour de la tentative de putsch. »

(…)

En mai 1923, Hitler disait encore qu’il ne faisait qu’ouvrir la voie, pour offrir au dictateur, quand il viendrait, un peuple prêt à l’accueillir.

(…)

Il accepta de voir dans Ludendorff « le chef militaire de l’Allemagne qui vient » et « le chef du grand affrontement à venir », mais revendiqua pour lui-même le rôle de « chef politique ». Si elle restait mouvante, l’idée que Hitler se faisait du chef s’était durcie, « héroïsée » en 1923, mais deux points restaient dans le vague : qui serait le « grand chef », et quel rôle jouerait Hitler une fois la « mobilisation » finie. Dans l’idée qu’il se faisait de lui, il avait, semble-t-il, déjà bien avancé dans la transition du « tambour battant le rappel » au « Führer ».” (Ian Kershaw, le mythe Hitler, p. 29)

Hitler ne se percevait pas encore comme le véritable guide, mais comme celui qui devait “battre le rappel” pour le véritable sauveur qui devait venir après lui.

Puisque l’image « héroïque » du chef qu’avait Hitler ne correspondait à aucune « personnalité » de l’époque, pas même à Ludendorff, il a suffi de l’échec du putsch pour faire basculer son propre rôle, de l’idée floue qu’il s’en faisait dans les derniers mois de 1923 au profil de chef héroïque qu’il s’attribue dans Mein Kampf – évolution que laissait déjà présager l’assurance dont il avait fait preuve dans son procès.” (Ian Kershaw, Le mythe Hitler, p. 29-30)

Hitler ne trouvant aucun candidat valable pour occuper le poste de sauveur, il décide de faire lui-même le travail. Il passe ainsi du “tambour battant le rappel” à celui de “führer” qui doit sauver l’Allemagne. Ce tournant eut lieu lors de son incarcération après la tentative de putsch de la brasserie de Munich.

b-3. Le coup d’état de la brasserie.

Comme le relate Ian kershaw, le coup d’Etat de la brasserie de Munich va marquer un tournant décisif dans le culte de personnalité autour d’Hitler. Il y aurait d’ailleurs beaucoup à dire sur ce coup d’Etat manqué. Nous l’avons vu, Hitler était un agent de renseignement chargé d’infiltrer le NSDAP. Il réussira tellement bien sa mission qu’il parviendra à s’imposer comme chef du parti. Là encore, la tentative de coup d’Etat fut organisée en partie par l’armée allemande.

La Reichswehr bavaroise s’était massivement associée à l’entraînement et à la préparation des forces qui avaient essayé de s’emparer de l’appareil d’État. Et des personnages importants avaient trempé dans la tentative de putsch. Quelque justification qu’ils aient pu donner ensuite de leurs actions, Kahr, Lossow et Seißer avaient les mains sales. Héros de guerre, le général Ludendorff avait été le parrain spirituel de toute l’entreprise. Dans le procès des auteurs du putsch qui se tint à Munich du 26 février au 27 mars 1924 – les peines furent prononcées quatre jours plus tard, le 1er avril –, tout incitait à braquer les projecteurs sur le seul Hitler. Il ne fut que trop ravi de jouer le rôle qui lui était confié.

(…)

À l’ouverture de son procès, son attitude avait changé du tout au tout. Il eut tout le loisir de transformer le tribunal en théâtre de propagande. Et, non content d’accepter l’entière responsabilité des événements et de se justifier, il glorifia son rôle dans la tentative de renversement de l’État de Weimar. La menace de révéler la complicité de Kahr, de Lossow et de Seißer, et en particulier de la Reichswehr, dans cette entreprise de subversion, y fut pour beaucoup.(Ian Kershaw, Hitler, p. 251)

Le verdict fut très clément, sans doute en raison des liens d’Hitler avec les services secrets de l’armée.

Le verdict fut rendu le 1er avril 1924. Ludendorff fut dûment acquitté, ce qu’il prit pour un affront. Hitler, tout comme Weber, Kriebel et Pöhner, fut condamné pour haute trahison à cinq ans de prison seulement (moins les quatre mois et deux semaines qu’il avait déjà purgés) et à une amende de deux cents marks-or (ou vingt jours de prison supplémentaires). Les autres accusés reçurent des peines encore plus légères. Ainsi que Hitler l’insinua par la suite, les jurés n’avaient consenti à le déclarer « coupable » qu’en lui infligeant une peine des plus légères et assortie de la perspective d’une libération anticipée.

(…)

La conduite du procès et les peines infligées suscitèrent stupeur et dégoût jusque dans les rangs de la droite conservatrice en Bavière. Sur le plan juridique, la peine était en effet scandaleuse. Le verdict passa sous silence les quatre policiers abattus par les putschistes, le vol de quatorze mille six cent cinq milliards de marks-papier (l’équivalent de vingt-huit mille marks-or), la destruction des locaux du journal du SPD, le Münchener Post, et la prise en otage de conseillers municipaux sociaux-démocrates.(Ian Kershaw, Hitler, p. 254)

Erich Ludendorf fut acquitté, alors que Hitler fut condamné à cinq ans de prison ferme.

Les personnalités inculpées lors du procès d’Adolf Hitler en 1924 : Ludendorff se trouve au côté d’Adolf Hitler. Photo d’Heinrich Hoffmann.

Le général Erich Ludendorf (1865-1937) joua un rôle considérable dans les premiers temps du nazisme. Il rédigea un livre, “la guerre totale” qui servira de manuel de propagande pour les nazis. C’est l’un des maîtres à penser d’Adolf Hitler.

Le séjour en prison ne sera pas très rigoureux. Hitler était comme à l’hôtel. Tout cela ne cesse de nous étonner. Surtout venant de quelqu’un qui prétendit être persécuté par le pouvoir. C’est là aussi un discours classique des extrêmes. Prétendre être persécuté par un pouvoir hostile, alors que ce même pouvoir les protège. Un jeu de dupes qui existait déjà au moment d’Adolf Hitler. Rien n’a changé de nos jours.

Hitler retrouva donc la prison de Landsberg pour y purger sa peine légère dans des conditions plus proches de celles d’un hôtel que d’un pénitencier. De la fenêtre de sa grande chambre confortablement meublée du premier étage, il avait vue sur la campagne. Dans sa culotte de peau, il pouvait se détendre en lisant le journal dans un fauteuil en osier, tournant le dos à une couronne de lauriers que lui avaient offerte des admirateurs, ou s’asseoir à son grand bureau pour trier les monceaux de courrier qu’il recevait. Ses geôliers le traitaient avec le plus grand respect. Certains lui donnaient discrètement du « Heil Hitler ! » et lui accordaient tous les privilèges possibles. Les cadeaux, les fleurs, les lettres de soutien, les panégyriques affluaient. Les visiteurs se bousculaient, trop nombreux pour qu’il pût tous les recevoir : plus de cinq cents avant qu’il ne se décidât à imposer des restrictions. Une quarantaine de codétenus, pour certains des internés volontaires, jouissant de presque tous les conforts d’une vie quotidienne normale, rampaient devant lui.(Ian Kershaw, Hitler, p. 254)

Ce que montre la description du séjour d’Hitler en prison, c’est que le culte de la personnalité est déjà présent. Il existe un milieu favorable, il ne reste plus qu’à le mettre en scène pour en faire un acte politique. Le séjour en prison va servir d’élément déclencheur. Il va surjouer l’homme politique persécuté par le pouvoir afin de faire monter la compassion, puis l’adhésion sur sa personne. Une technique vieille comme le monde. On constate que le pouvoir politique est complice de ce mécanisme, car il va pousser Adolf Hitler à faire un coup d’Etat, pour ensuite l’arrêter et faire semblant de le persécuter. Une fausse persécution mise en évidence par l’indulgence dont il a bénéficié lors du jugement.

b-4. Introduction du culte de la personnalité au sein du NSDAP.

A sa sortie de prison, en 1925, Hitler va refonder le NSDAP et se faire réélire président.

Les « années calmes » du mouvement nazi, entre 1925 et 1928 – le NSDAP, refondé en 1925, est alors à peine mentionné dans la presse non nazie, et obtient un résultat misérable, 2,6 % des voix, aux élections législatives de 1928 –, sont en fait celles où l’organisation du Parti s’étend à l’ensemble du Reich et où le nombre de ses membres s’accroît sensiblement. Pendant cette période, le parti nazi sert de réceptacle politique où convergent tous les groupuscules restants de la droite völkisch, et la position dirigeante de Hitler en son sein se consolide et devient pratiquement inexpugnable.” (Ian Kershaw, Le mythe Hitler, p. 30)

Durant la période 1925-1926, le NSDAP ne remporte pas beaucoup de succès populaire. Ils ne sont presque jamais cités dans la presse généraliste. Cependant, c’est pendant cette période souterraine que le mouvement va s’étendre sur l’ensemble du territoire et s’organiser.

En 1926, le culte de la personnalité autour d’Adolf Hitler va connaître un tournant majeur avec l’introduction du salut nazi accompagné du célèbre cri “heil Hitler“.

“Un signe extérieur de l’attachement des fidèles du Parti à la figure de leur chef a été l’introduction au sein du NSDAP, en 1926, d’un salut obligatoire de style fasciste, « Heil Hitler », qui se pratiquait sporadiquement depuis 1923.” (Ian Kershaw, Le mythe Hitler, p. 30)

Le salut de style fasciste, inspiré de l’Italie, va devenir le salut nazi. Il fut utilisé pour la première fois par Gabriele d’Anunzio lors de l’épisode de Fiume. On lève le bras en l’air, la main tendue à plat.

A noter qu’Adolf Hitler utilisera une variante du salut nazi. Il va replier le coude.

Quant au cri de ralliement, “heil Hitler“, il s’inspire également du cri de guerre fasciste “Eja, Eja, Eja ! Alalà !“.

Le succès n’est pas immédiatement présent. Aux élections de 1928, le parti nazi ne fera qu’un modeste 2, 6 % et douze députés au Reichstag.

Elections législatives allemandes de 1928.

La situation va évoluer favorablement avec la crise de 1929 qui va provoquer la montée du Parti nazi aux élections législatives de 1930.

“La situation a fondamentalement changé avec les législatives de 1930, qui se sont tenues en pleine crise non seulement de l’économie mais de l’État lui-même, et où les nazis ont obtenu un résultat spectaculaire : 6,4 millions de voix, 18,3 % des suffrages exprimés, ce qui a fait d’eux du jour au lendemain, avec 107 sièges, le second parti du Reichstag.

On comprend la jubilation de la direction du parti nazi : ce vote dépassait de très loin ses espoirs les plus fous, il signifiait la percée – non seulement une audience de masse, mais aussi la publicité de masse.

Déjà, un an plus tôt, le Parti avait réussi à se débarrasser en grande partie de son image d’« extrémisme cinglé », et, en assurant la propagande de Hugenberg et d’autres dirigeants réputés sérieux de l’« opposition nationale » dans la campagne contre le plan Young, il avait pu attirer davantage l’attention des médias et se faire mieux accepter, politiquement et socialement, par la bourgeoisie conservatrice.

Mais désormais, après leur triomphe électoral du 14 septembre 1930, le NSDAP et son chef étaient de l’information de premier ordre – c’était le sujet par excellence. C’est à ce stade que le culte de Hitler a cessé d’être le fétiche d’un petit parti de fanatiques et s’est mis à représenter pour des millions d’Allemands l’espoir d’un nouvel âge politique.” (Ian Kershaw, Le mythe Hitler, p. 30)

Aux élections législatives de 1930, le parti nazi va obtenir 18 % des voix et une centaine de députés.

Elections législatives allemandes de 1930.

C’est un changement de dimension qui lui permettra d’obtenir le pouvoir trois ans plus tard. Ce changement fut obtenu par une habile politique de dédiabolisation. Il s’agissait de transformer un parti “d’extrêmiste cinglé“, en une véritable “opposition” apte à gouverner. Le résultat fut obtenu grâce à la propagande dont nous venons de voir les principaux mécanismes.

2. La mise en scène du culte du chef.

La mise en scène du culte de la personnalité sera étudiée uniquement sous l’angle du cinéma de Leni Riefensthal, à travers deux films, “Le Triomphe de la volonté” (a) et “Olympia” (b).

a : “Le triomphe de la volonté” (1935).

Nous avons déjà vu “le triomphe de la volonté” dans l’article sur le conditionnement en politique.

Il fut tourné en 1934 lors du meeting de Nuremberg par la réalisatrice allemande Leni Riefenstahl, qui mit son immense talent au service du mal. Ce film, comme celui que nous verrons ensuite, est un modèle du genre. Sans me tromper, je peux affirmer qu’il est considéré comme le plus grand documentaire politique de l’histoire.

Il contribue grandement à la création du mythe politique du saveur autour d’Adolf Hitler, par une habille mise en scène qui permet à tout le génie de Leni Riefensthal de s’exprimer. Elle le met en images dans l’introduction du documentaire. Un monument dont il est très difficile de ne pas sortir complètement envoûte. Un modèle du genre qu’il faut disséquer image par image pour comprendre les mécanismes psychologiques en jeu. Il sera d’ailleurs de prix cinématographique dans le monde entier. Cela est nécessaire pour conjurer l’envoûtement.

L’introduction comprend deux séquences : une série de carton de présentation du contexte (a-1) et un surval aérien de Nuremberg (a-2).

a-1. Les cartons de présentation.

Le film s’ouvre sur une étonnante série de carton censé expliquer aux spectateurs le contexte Une présentation qui va orienter la manière d’inerpréter les images qui suivront ensuite.

Nous avons huit cartons. Le premier (a-1-1), le deuxième (a-1-2), le troisième, le quatrième (a-1-3), le cinquième, le sixième, le septième (a-1-4) et le huitième (a-1-5).

a-1-1. Le premier carton.

Un premier carton comporte le texte suivant :

Un documentaire au congrès du parti du Reich de 1934“.

Le triomphe de la volonté, Riefensthal (1935)

Le texte ne parle pas du parti NSDAP, du parti national-socialiste ou plus simplement du Parti Nazi, mais du Parti du Reich. Il y a une identification du nazisme au Reich.

Le Reich, c’est l’empire allemand.

Il y eut le Premier Reich de 962 à 1806 (le Saint-Empire romain germanique) et le deuxième Reich de 1871 à 1918. Le film nous dit que désormais, c’est le règne du Troisième Reich. L’Empire allemand est de retour. Un simple mot va faire ressurgir de l’âme du peuple allemand des images tirées de l’histoire millénaire. C’est d’une grande habileté. Nous allons voir ensuite que tout va être fait pour mettre en avant la gloire passée de l’Allemagne impériale.

Cette idée de l’Empire germanique est renforcée par l’usage d’une calligraphie gothique.

a-1-2. Le deuxième carton.

Un deuxième carton continue la présentation :

Produit sur l’ordre du Führer“.

Le triomphe de la volonté, Riefensthal (1935)

Le “führer” est alors présenté comme le successeur des Empereurs germaniques, par association d’idées avec le terme “Reich” du carton précédent.

On nous dit également que ce documentaire a été produit sur “ordre” du “Führer”. Le “führer” donne des ordres et ses subordonnés les exécutent. C’est la mise en œuvre sous nos yeux du “führerprinzip”.

a-1-3. Les troisième et quatrième cartons.

Le troisième carton précise :

réalisé par Leni Riefensthal“.

Le quatrième carton donne la date :

5 septembre 1934“.

Le triomphe de la volonté, Riefensthal (1935)

C’est la contextualisation temporelle du film. Les scènes qui vont suivre ont eu lieu le 5 septembre 1934. A partir de cette date, la réalisatrice va établir un compte à rebours.

a-1-4. Les cinquième, sixième et septième cartons.

Avec le cinquième carton :

20 ans après le début de la Guerre mondiale“.

Le triomphe de la volonté, Riefensthal (1935)

Le film se déroule vingt ans après le début de la Première Guerre mondiale. C’est le début de l’engrenage fatal.

Le sixième carton continue le décompte temporel :

16 ans après le début de la douleur allemande“.

Le triomphe de la volonté, Riefensthal (1935)

Seize ans avant 1934, c’est 1918, la date de l’armistice. C’est la défaite de l’Allemagne, qui débouchera sur la fin du deuxième Reich.

Le septième et avant-dernier carton précise:

19 mois depuis le début de la renaissance allemande“.

Le triomphe de la volonté, Riefensthal (1935)

Dix-neuf mois, c’est un an et demi. Entre septembre 1934 et janvier 1933, il y a un an et demi. Au moment du congrès du NSDAP, Hitler est au pouvoir depuis un an et demi. Hitler, nommé chancelier, est présenté comme une “renaissance du peuple allemand”. C’est un moyen d’indiquer encore une fois que le gouvernement d’Adolf Hitler est la renaissance du Reich millénaire. C’est le fil rouge de l’introduction.

a-1-5. Le huitième carton.

Le huitième et dernier carton présente l’arrivée d’Adolf Hitler à Nuremberg.

Adolf Hitler s’est à nouveau rendu à Nuremberg pour une parade militaire“.

Le triomphe de la volonté, Riefensthal (1935)

Nuremberg n’a pas été choisi au hasard. C’est une cité impériale. Il tente encore une fois d’inscrire Adolf Hitler dans la continuité des empereurs du Saint-Empire romain germanique, de la même manière que Benito Mussolini a tenté d’inscrire ses pas dans ceux des Empereurs romains. Il y a un étonnant mimétisme entre Hitler et Mussolini.

Nuremberg est l’une des trois principales cités de l’Empire, avec Aix-la-Chapelle et Francfort. Elle était une ville libre impériale à l’intérieur de la Bavière. On disait que Nuremberg était la capitale de l’Empire. Une capitale officieuse.

En choisissant Nuremberg comme ville principale de ses meetings politiques, Adolf Hitler a tenté de récupérer le prestige impérial de la cité.

a-2. Le survol aérien de Nuremberg.

Après cette série de cartons censés contextualiser le documentaire, le film montre un avion qui survole des nuages, puis la ville de Nuremberg. On montre des monuments importants de la ville liés à son passé impérial. Nous voyons d’abord l’église de Saint-Lorenz (a-2-1), le château de Nuremberg (a-2-2) et la parade militaire dans les rues de Nuremberg (a-2-3).

a-2-1. L’église Saint-Lorenz.

On commence par voir le double clocher de l’église saint-Lorenz.

Eglise Saint-Lorenz, Nuremberg, le triomphe de la volonté, Riefensthal (1935)

L’un des clochers porte un étendard impérial à trois couleurs (noir, blanc, rouge).

Eglise Saint-Lorenz, Nuremberg, le triomphe de la volonté, Riefensthal (1935)

L’autre clocher supporte un étendard nazi.

Eglise Saint-Lorenz, Nuremberg, le triomphe de la volonté, Riefensthal (1935)

L’un à côté de l’autre, montrés successivement, permet à la réalisatrice d’indiquer que le nazisme se situe dans la continuité du Saint-Empire romain germanique. La restauration dont il était question dans l’introduction, c’est la restauration de l’Empire, d’où le choix du nom de troisième Reich.

L’église Saint-Lorenz a été très gravement endommagée durant la Deuxième Guerre mondiale, mais restaurée à l’identique après la guerre. C’est une église dédiée au culte luthérien, même si la Bavière est plutôt de culture catholique, comme souvent au sud de l’Allemagne.

Eglise Saint-Lorenz, Nuremberg (Bavière).

C’est dans la cathédrale saint-Lorenz que, à partir de 1424 et jusqu’en 1796, furent entreposés les regalia de la couronne impériale, c’est-à-dire la couronne, l’épée impériale, la sainte-lance ou l’orbe impérial. Aujourd’hui, ils sont à Vienne. On comprend l’intérêt de montrer cette église historique de l’empire allemand pavoisée des couleurs impériales et du troisième Reich.

a-2-2. Le château de Nuremberg.

C’est la même idée qui domine avec le monument suivant que survole l’avion. C’est le château de Nuremberg au-dessus duquel flotte le drapeau impérial.

Château de Nuremberg, le triomphe de la volonté, Riefensthal (1935)

C’est à l’intérieur du château que fut proclamée la Bulle d’Or par Charles IV (1346-1378) en 1356. Elle va donner à forme définitive au Saint-Empire romain germanique.

Le château de Nuremberg.

L’Empereur sera désormais élu par sept princes-électeurs :

  1. L’archevêque de Trêves.
  2. L’archevêque de Cologne.
  3. Le roi de Bohême
  4. Le Comte palatin du Rhin.
  5. Le duc de Saxe.
  6. Le margrave de Brandebourg.
  7. L’archevêque de Mayence.
Chateau de Nuremberg.

La diète d’Empire se réunira à plusieurs reprises dans le château de Nuremberg.

La diète réunissait des représentants des corporations, des différents territoires de l’Empire afin de participer aux décisions les plus importantes. Comme l’étaient nos États généraux en France.

La diète se réunira sept fois à Nuremberg, de 1356 à 1543 :

  • 1356 : sous Charles IV.
  • 1487 : sous Frédéric III.
  • 1522 : sous Charles Quint.
  • 1522/1523 : sous Charles Quint.
  • 1524 : sous Charles Quint.
  • 1542 : sous Charles Quint.
  • 1543 : sous Charles Quint.

A partir de 1594, la diète ne se réunira plus qu’à Ratisbonne. Elle deviendra perpétuelle à partir de 1663. Elle portera le nom de Reichstag.

a-2-3. La parade militaire.

Après avoir survolé les deux célèbres monuments de la Nuremberg impériale, la réalisatrice montre un avion survolant la ville. La scène la plus célèbre montre son ombre qui parcourt une avenue de la ville où se déroule un défilé militaire des troupes de la milice du parti.

Ombre de l’avion, le triomphe de la volonté, Riefensthal (1935)

Cela est censé évoquer aux spectateurs une mise en scène élaborée par le maître de la propagande allemande Josef Goebbels trois ans plus tôt. Le congrès de Nuremberg de 1934 est l’aboutissement d’une technique déjà bien en place. Il n’y a pas d’improvisation dans ce film. Trois ans d’observations et de modifications pour obtenir un résultat parfait.

Revenons en arrière.

1931. Goebbels organise à Brunswick le premier grand rassemblement du parti nazi, qui voit défiler plus de cent mille militants. C’est la préfiguration de ceux qui auront lieu à Nuremberg. C’est l’occasion d’améliorer et de corriger les erreurs.

D’abord Brunswick, n’est pas Nuremberg au niveau de la symbolique historique. Ensuite, un tel événement qui n’est pas filmé pour l’éternité n’existe pas dans la mémoire des gens.

Il y a enfin le tournant décisif en matière de propagande, que constitue la campagne présidentielle de 1932.

D’importantes composantes du mythe Hitler se sont largement propagées pendant la campagne pour la présidence du Reich en mars et avril 1932, notamment au second tour, qui a opposé directement Hitler à Hindenburg. À cette occasion, le chef du NSDAP, qui avant 1929-1930 était encore, plus ou moins, un inconnu sur la scène politique nationale, a réussi à s’assurer plus de treize millions de voix – nettement plus du tiers des suffrages – et il est sorti de ce vote en candidat de stature comparable au vainqueur, le très respecté Feldmarschall de la Première Guerre mondiale, soutenu par l’ensemble des grands partis sauf le NSDAP et le KPD.

L’impact visuel de la propagande nazie a été frappant. Dans les derniers jours avant l’élection, tranchant délibérément avec les placards électoraux multicolores, est apparue dans toute l’Allemagne une affiche qui montrait le visage de Hitler sur un fond entièrement noir. Sans nuances, les slogans martelaient ce message : une voix pour Hitler est une voix pour le changement, une voix pour Hindenburg est une voix pour le statu quo. L’élection a été présentée comme une joute entre le représentant du « système » de Weimar et le Chef de la nouvelle et jeune Allemagne, « le Führer, le Prophète, le Combattant […] l’ultime espoir des masses, l’éclatant symbole de la volonté allemande de liberté », dans la rhétorique de Goebbels.” (Ian Kershaw, Le mythe Hitler, p. 44)

La campagne présidentielle de 1932 va être l’occasion d’utiliser, pour la première fois, des techniques de propagande, afin de créer un véritable culte de la personnalité autour d’Adolf Hitler.

La campagne va utiliser une affiche qui deviendra célèbre à travers l’histoire. Le visage d’Hitler sur un fond noir.

On retrouvera cette affiche dans le film “1984” sorti en 1984. Big Brother remplace Hitler.

En 2002, Jean-Marie Le Pen, arrivé au deuxième tour de la présidentielle, s’inspirera de l’affiche de 1932.

Ce qu’implique cette affiche, c’est que le nom du chef devient lui-même le slogan. Le chef devient lui-même le programme. En 1932, il n’y avait pas de télévision, pas d’Internet, les gens ne connaissaient pas autant les visages des hommes politiques que de nos jours où l’image sature l’espace public. Une telle campagne permet de faire connaître son visage. C’est une campagne de notoriété. Un visage iconique facile à retenir : une petite moustache, une mèche noire sur le front.

Ce que dit l’affiche, c’est un message simple et clair : “Voter Hitler, c’est voter pour un vrai chef“.” Voter pour Hitler, c’est voter pour le chef que le peuple attend pour sauver l’Allemagne”. C’est une tentative d’incarnation du mythe du sauveur dont nous avons parlé dans l’article précédent.

Dans la campagne de propagande de 1932, Hitler est présenté comme un instrument de la Providence pour sauver l’Allemagne et “Meine kampf” l’équivalent de la Bible.

Le deuxième tour va être l’occasion de tester une nouvelle technique de propagande, la campagne aérienne.

La campagne du second tour de l’élection présidentielle, resserrée en une seule semaine avant l’élection du 10 avril, a été spectaculaire, avec de nouveaux progrès dans la fabrication du mythe Hitler. Largement annoncée, la « grande tournée de propagande du Führer à travers l’Allemagne » a eu lieu, pour la première fois dans l’histoire électorale, essentiellement par la voie des airs : Hitler avait loué un avion pour gagner ses réunions publiques dans tout le pays.

Dans la campagne du premier tour, où il s’était encore déplacé par la route, il avait parlé dans douze villes au cours d’une tournée de onze jours. En sillonnant le ciel dans son Deutschlandflug, dûment célébré par la propagande avec le slogan « Le Führer au-dessus de l’Allemagne », Hitler a pu s’adresser à de très grands rassemblements dans vingt villes différentes en six jours seulement.

Au cours de ses quatre campagnes « aéroportées » entre avril et novembre 1932, il s’est exprimé, en tout, dans 148 réunions publiques de masse, avec une moyenne de trois grands rassemblements par jour : il a souvent pris la parole devant des foules de 20 000 à 30 000 personnes dans les grandes villes, et s’est fait voir et entendre en personne, en cette seule année, littéralement par des millions d’Allemands. C’était incontestablement une performance remarquable en matière de discours de campagne, qui a permis à Hitler d’atteindre les masses comme aucun homme politique allemand ne l’avait fait avant lui.” (Ian Kershaw, Le mythe Hitler, p. 44)

Josef Goebbels va organiser une tournée aérienne du candidat, pour le second tour. l’avion permet de voyager rapidement d’une ville à l’autre et donc de multiplier les meetings. Cela donnera naissance au célèbre slogan “Le führer au-dessus de l’Allemagne“.

C’est la technique du survol aérien de Nuremberg qui sera utilisée dans “le triomphe de la volonté” pour montrer l’arrivée du führer.

b : “Olympia” (1938).

Terminons se très long article avec l’autre chef d’œuvre de Leni Riefensthal, “Olympia” tournée lors des Jeux olympiques de Berlin en 1936 et sortie au cinéma en 1938. Il se compose de deux films. Il va être l’occasion de mettre en scène le triomphe du nazisme et de son chef.

Au moment où j’écris ces lignes, les Jeux olympiques de Paris n’ont pas encore commencé par conte, au moment où vous le lirez, ils auront déjà eu lieu. Les jeux de Berlin furent l’occasion d’une intense propagande en faveur d’Hitler, ceux de Paris 2024 pourrait marquer l’apogée ou la chute d’un autre immonde dictateur, Emmanuel Macron.

L’ouverture du documentaire montre un autre aspect du régime hitlérien. Son lien avec la culture antique gréco-latine. Le titre du film est écrit en lettres latines évoquant l’Antiquité. Là où justement, “le triomphe de la volonté” voulait montrer la filiation avec la culture germanique.

Olympia, Riefensthal (1938)

La réalisatrice avait d’ailleurs tourné le film en plusieurs langues, dont le Français. Le titre français était “les dieux du stade“. A l’intérieur du documentaire, les épreuves sportives seront commentées en français par un acteur que l’on voit à l’image. Il en sera de même dans les autres langues. C’est une volonté de s’adresser directement aux différents pays du monde qui en dit long sur le professionnalisme de la réalisatrice.

Olympia, Riefensthal (1938)

Dans les cartons de présentation du film, nous trouvons une allusion “à la jeunesse du monde”. Etonnante allusion idéologique au nazisme qui met en avant la jeunesse. Nous dirions aujourd’hui qu’ils font du “jeunisme”, c’est-à-dire le culte de la jeunesse. La jeunesse au pouvoir, c’est également l’idéologie derrière Emmanuel Macron. La jeunesse et l’immaturité permanente. L’inexpérience et l’incompétence permanente. Nous savons que le nom de son parti “La République En Marche” est une allusion à peine cachée à la marche sur Rome de Mussolini, comme je l’ai montré dans mon livre “la bête de l’événement“.

Olympia, Riefensthal (1938)

Le jeunisme, c’est le culte du corps et de la beauté. Un culte du corps que montre le documentaire en réalisant un parallèle entre les statues des athlètes grecs et ceux modernes des sportifs allemands. Il y a une continuité historique selon Leni Riefensthal que montre le fabuleux fondu enchaîné du discobole.

Olympia, Riefensthal (1938)

Un athlète allemand, le corps nu, prend la même position, puis se met en mouvement. Du grand art au niveau de la réalisation.

Olympia, Riefensthal (1938)

La mise en scène de la flamme olympique est spectaculaire dans le film. C’est un symbole apparu justement pour ces Jeux olympiques de 1936. Un athlète allemand allume la flamme en Grèce au milieu des ruines de temples antiques.

Olympia, Riefensthal (1938)

Il y a dans cette image toute une symbolique du feu transmis de relayeur en relayeur, du berceau de la civilisation européenne à Allemagne. Une Allemagne qui se prétend l’héritière païenne de cette Grèce antique. Une image forte qui impressionna beaucoup le spectateur.

La flamme est allumée au cœur de Berlin sous les yeux d’Adolf Hitler.

Un rituel qui se maintient de nos jours. Il a lieu tous les quatre ans durant les Jeux olympiques d’été ou d’hiver. Il fut inventé par le régime nazi et génialement mis en images par Leni Riefensthal.

Olympia, Riefensthal (1938)

L’une des images qui restera de ce documentaire outre le discobole et les victoires de Jesse Owens devant un Hitler médusé, c’est celle de la flamme olympique avec en arrière-plan la Porte de Brandebourg pavoisée de croix gammes. Une image glaçante qui montre comment le sport et les Jeux olympiques peuvent être détournés politiquement au profit d’un régime immonde. Espérons qu’il n’y aura pas le même genre de chose lors des jeux de Paris. Quoique, une chose est certaine, Emmanuel Macron n’a pas su mettre à son service une artiste aussi talentueuse que Leni Riefensthal pour le mettre en images. Le macronisme, c’est même l’inverse, moins tu as de talent, plus tu as de chance de travailler pour lui. Au moins, l’inculture généralisée de notre époque a du bon.

Olympia, Riefensthal (1938)

Lors de la cérémonie d’ouverture, chaque délégation défile dans le stade. Ce sera l’occasion pour la réalisatrice de montrer que le nazisme n’est pas seulement reconnu en Allemagne. Elle tente de montrer que les soutiens se multiplient dans le monde entier. On voit certaines délégations qui feront le salut nazi sous le regard de la caméra de Leni Riefensthal. Ce sera le cas des délégations Grecque, Italienne et française.

Olympia, Riefensthal (1938)

A chaque fois qu’une délégation fera un salut nazi, la réalisatrice, par un habile montage, montrera un Adolf Hitler souriant répondant par un salut nazi. Cela est censé induire que la délégation apporte son soutien à la personne même du Führer. Le montage permet de détourner la réalité.

Olympia, Riefensthal (1938)

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